Mathieu Guidère (Professeur des Universités, directeur de recherches) , Louis Jehel (Professeur des Universités, chef du service psychiatrie) , Chirine Chamsine (Professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM))
{"title":"人道主义背景下的心理创伤和文化互动","authors":"Mathieu Guidère (Professeur des Universités, directeur de recherches) , Louis Jehel (Professeur des Universités, chef du service psychiatrie) , Chirine Chamsine (Professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM))","doi":"10.1016/j.pxur.2025.06.004","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><div>La prise en charge du psychotraumatisme en contexte humanitaire pose des défis complexes, en raison de la diversité des cultures rencontrées et de la variabilité des expressions de la souffrance psychique. Loin d’être universelle, la manifestation du trouble de stress post-traumatique (TSPT) est influencée par des facteurs culturels qui modifient à la fois les plaintes, les attentes thérapeutiques et les stratégies de résilience. Dans certaines sociétés, les symptômes s’expriment surtout par le corps (douleurs, troubles digestifs), alors que dans d’autres, les émotions sont exprimées plus directement. Ces variations peuvent conduire à des erreurs diagnostiques, notamment lorsque les outils d’évaluation standardisés comme la CAPS-5 (<em>Clinician-Administered PTSD Scale for DSM-5</em>) ou la PCL-5 (<em>PTSD Checklist for DSM-5</em>) sont utilisés sans adaptation. Des concepts comme les « scripts culturels du traumatisme » ou les syndromes spécifiques (<em>Susto</em>, <em>Khal’a</em>, <em>Khyâl cap</em>, etc.) éclairent la manière dont les traumatismes sont compris localement. De même, les pratiques de soin traditionnelles (guérisseurs, rituels communautaires) jouent un rôle important dans la restauration du lien social, et leur intégration dans les prises en soin améliore l’adhésion thérapeutique. Les approches hybrides, combinant psychothérapies occidentales et ressources locales, montrent ainsi une meilleure efficacité, comme démontré en Ouganda, au Cambodge ou au Botswana. Le manque de formation interculturelle des soignants constitue un frein majeur. Une majorité d’intervenants humanitaires ne sont pas formée aux variations culturelles du TSPT, ce qui alimente les diagnostics erronés et les ruptures de soin. Pour répondre à ces défis, des initiatives émergent. L’utilisation de l’intelligence artificielle, comme le programme MINOR-IA, permet d’évaluer les symptômes dans la langue maternelle du patient, améliorant la précision diagnostique de près de 30 %. Néanmoins, ces outils technologiques doivent être encadrés, car ils peuvent reproduire des biais culturels s’ils ne sont pas validés localement. L’article souligne l’urgence d’intégrer les compétences interculturelles dans les formations en santé mentale, de développer des collaborations avec les ressources communautaires et d’investir dans des outils assistés par l’intelligence artificielle. Une approche intégrative, sensible aux contextes, est essentielle pour assurer une réponse humanitaire adaptée et respectueuse de la diversité des langues et des cultures.</div></div><div><div>The management of psychotrauma in humanitarian contexts presents complex challenges due to the cultural diversity of affected populations and the variability in how psychological distress is expressed. Far from being universal, the presentation of post-traumatic stress disorder (PTSD) is shaped by cultural factors that influence the nature of symptoms, treatment expectations, and resilience strategies. In some cultures, distress is primarily somatized (e.g., pain, digestive issues), while in others, emotional expression is more socially acceptable. These differences can lead to diagnostic errors, especially when standardized tools like the CAPS-5 (<em>Clinician-Administered PTSD Scale for DSM-5</em>) or the PCL-5 (<em>PTSD Checklist for DSM-5</em>) are applied without cultural adaptation. Concepts such as “cultural trauma scripts” and culture-bound syndromes (e.g., Susto, Khal’a, Khyâl cap) help explain how trauma is interpreted locally. Likewise, traditional healing practices — rituals, community ceremonies, and indigenous healers — play a vital role in social restoration. Integrating these into therapeutic frameworks has been shown to enhance treatment adherence and outcomes, as demonstrated in Uganda, Cambodia, and Botswana. A major barrier remains the lack of intercultural training among healthcare providers. Most humanitarian actors are not educated about cultural variations in PTSD, leading to misdiagnoses and care discontinuities. Emerging initiatives are addressing this gap. For instance, the MINOR-IA project uses artificial intelligence to assess symptoms in the patient's native language, improving diagnostic accuracy by nearly 30%. Still, these technologies must be critically evaluated to avoid reinforcing cultural biases. This article highlights the urgent need to include intercultural competencies in mental health training, foster collaboration with community-based resources, and invest in AI-assisted tools. 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De même, les pratiques de soin traditionnelles (guérisseurs, rituels communautaires) jouent un rôle important dans la restauration du lien social, et leur intégration dans les prises en soin améliore l’adhésion thérapeutique. Les approches hybrides, combinant psychothérapies occidentales et ressources locales, montrent ainsi une meilleure efficacité, comme démontré en Ouganda, au Cambodge ou au Botswana. Le manque de formation interculturelle des soignants constitue un frein majeur. Une majorité d’intervenants humanitaires ne sont pas formée aux variations culturelles du TSPT, ce qui alimente les diagnostics erronés et les ruptures de soin. Pour répondre à ces défis, des initiatives émergent. L’utilisation de l’intelligence artificielle, comme le programme MINOR-IA, permet d’évaluer les symptômes dans la langue maternelle du patient, améliorant la précision diagnostique de près de 30 %. Néanmoins, ces outils technologiques doivent être encadrés, car ils peuvent reproduire des biais culturels s’ils ne sont pas validés localement. L’article souligne l’urgence d’intégrer les compétences interculturelles dans les formations en santé mentale, de développer des collaborations avec les ressources communautaires et d’investir dans des outils assistés par l’intelligence artificielle. Une approche intégrative, sensible aux contextes, est essentielle pour assurer une réponse humanitaire adaptée et respectueuse de la diversité des langues et des cultures.</div></div><div><div>The management of psychotrauma in humanitarian contexts presents complex challenges due to the cultural diversity of affected populations and the variability in how psychological distress is expressed. Far from being universal, the presentation of post-traumatic stress disorder (PTSD) is shaped by cultural factors that influence the nature of symptoms, treatment expectations, and resilience strategies. In some cultures, distress is primarily somatized (e.g., pain, digestive issues), while in others, emotional expression is more socially acceptable. These differences can lead to diagnostic errors, especially when standardized tools like the CAPS-5 (<em>Clinician-Administered PTSD Scale for DSM-5</em>) or the PCL-5 (<em>PTSD Checklist for DSM-5</em>) are applied without cultural adaptation. Concepts such as “cultural trauma scripts” and culture-bound syndromes (e.g., Susto, Khal’a, Khyâl cap) help explain how trauma is interpreted locally. Likewise, traditional healing practices — rituals, community ceremonies, and indigenous healers — play a vital role in social restoration. Integrating these into therapeutic frameworks has been shown to enhance treatment adherence and outcomes, as demonstrated in Uganda, Cambodia, and Botswana. A major barrier remains the lack of intercultural training among healthcare providers. 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Psychotraumatismes et interactions culturelles en contexte humanitaire
La prise en charge du psychotraumatisme en contexte humanitaire pose des défis complexes, en raison de la diversité des cultures rencontrées et de la variabilité des expressions de la souffrance psychique. Loin d’être universelle, la manifestation du trouble de stress post-traumatique (TSPT) est influencée par des facteurs culturels qui modifient à la fois les plaintes, les attentes thérapeutiques et les stratégies de résilience. Dans certaines sociétés, les symptômes s’expriment surtout par le corps (douleurs, troubles digestifs), alors que dans d’autres, les émotions sont exprimées plus directement. Ces variations peuvent conduire à des erreurs diagnostiques, notamment lorsque les outils d’évaluation standardisés comme la CAPS-5 (Clinician-Administered PTSD Scale for DSM-5) ou la PCL-5 (PTSD Checklist for DSM-5) sont utilisés sans adaptation. Des concepts comme les « scripts culturels du traumatisme » ou les syndromes spécifiques (Susto, Khal’a, Khyâl cap, etc.) éclairent la manière dont les traumatismes sont compris localement. De même, les pratiques de soin traditionnelles (guérisseurs, rituels communautaires) jouent un rôle important dans la restauration du lien social, et leur intégration dans les prises en soin améliore l’adhésion thérapeutique. Les approches hybrides, combinant psychothérapies occidentales et ressources locales, montrent ainsi une meilleure efficacité, comme démontré en Ouganda, au Cambodge ou au Botswana. Le manque de formation interculturelle des soignants constitue un frein majeur. Une majorité d’intervenants humanitaires ne sont pas formée aux variations culturelles du TSPT, ce qui alimente les diagnostics erronés et les ruptures de soin. Pour répondre à ces défis, des initiatives émergent. L’utilisation de l’intelligence artificielle, comme le programme MINOR-IA, permet d’évaluer les symptômes dans la langue maternelle du patient, améliorant la précision diagnostique de près de 30 %. Néanmoins, ces outils technologiques doivent être encadrés, car ils peuvent reproduire des biais culturels s’ils ne sont pas validés localement. L’article souligne l’urgence d’intégrer les compétences interculturelles dans les formations en santé mentale, de développer des collaborations avec les ressources communautaires et d’investir dans des outils assistés par l’intelligence artificielle. Une approche intégrative, sensible aux contextes, est essentielle pour assurer une réponse humanitaire adaptée et respectueuse de la diversité des langues et des cultures.
The management of psychotrauma in humanitarian contexts presents complex challenges due to the cultural diversity of affected populations and the variability in how psychological distress is expressed. Far from being universal, the presentation of post-traumatic stress disorder (PTSD) is shaped by cultural factors that influence the nature of symptoms, treatment expectations, and resilience strategies. In some cultures, distress is primarily somatized (e.g., pain, digestive issues), while in others, emotional expression is more socially acceptable. These differences can lead to diagnostic errors, especially when standardized tools like the CAPS-5 (Clinician-Administered PTSD Scale for DSM-5) or the PCL-5 (PTSD Checklist for DSM-5) are applied without cultural adaptation. Concepts such as “cultural trauma scripts” and culture-bound syndromes (e.g., Susto, Khal’a, Khyâl cap) help explain how trauma is interpreted locally. Likewise, traditional healing practices — rituals, community ceremonies, and indigenous healers — play a vital role in social restoration. Integrating these into therapeutic frameworks has been shown to enhance treatment adherence and outcomes, as demonstrated in Uganda, Cambodia, and Botswana. A major barrier remains the lack of intercultural training among healthcare providers. Most humanitarian actors are not educated about cultural variations in PTSD, leading to misdiagnoses and care discontinuities. Emerging initiatives are addressing this gap. For instance, the MINOR-IA project uses artificial intelligence to assess symptoms in the patient's native language, improving diagnostic accuracy by nearly 30%. Still, these technologies must be critically evaluated to avoid reinforcing cultural biases. This article highlights the urgent need to include intercultural competencies in mental health training, foster collaboration with community-based resources, and invest in AI-assisted tools. An integrative, context-sensitive approach is essential for an effective and culturally respectful humanitarian response.