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{"title":"西蒙·纳多的《修道院》(评论)","authors":"Khadija Khalifé","doi":"10.1353/tfr.2023.a911332","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Reviewed by: Le monastère buissonnier par Simon Nadeau Khadija Khalifé Nadeau, Simon. Le monastère buissonnier. Boréal, 2022. ISBN 978-2-7646-3722-7. Pp. 368. Les grands poètes et penseurs sont des novateurs qui s’inscrivent nettement contre l’orthodoxie de tous genres grâce à leur liberté d’esprit et de réflexion. Par l’intermédiaire de son protagoniste La-Mèche-Noire, Simon Nadeau réfléchit aux concepts de la liberté et de l’évolution humaines dans un monde naturellement dominé par le joug des aliénations. Le protagoniste relit les philosophes, dont Hegel pour qui le progrès de l’humanité réside “dans la conscience que l’esprit a de sa liberté” (58). Il conclut que l’esprit doit trouver un appui—paradoxalement un ailleurs—pour “se dégager de ce qui l’asservit du dedans comme du dehors” (60). L’auteur illustre ses conclusions à travers une multitude d’histoires enchaînées les unes aux autres. Et, nous transportant d’un ailleurs à un autre, chaque histoire a ses personnages, sa trame et son envol. On commence par La-Mèche-Noire résidant à Montréal au caravanier et son fils en Égypte, et on passe à la princesse Sinalayoura, et puis à d’autres personnages à Novossibirsk, à Tokyo, au Cameroun. Et on continue avec d’autres histoires passionnantes survenues en Inde. Bien que les unités de lieu et de temps éclatent, toutes ces histoires, récentes, anciennes ou légendaires, ont comme fil conducteur des personnages vagabonds qui partagent le même rejet des doctrines figées et la même utopie d’un ailleurs qui mènerait à la plénitude. L’allégorie du “monastère buissonnier”—oxymore combinant l’exil extérieur et l’exaltation intérieure—est rendue par l’image de ces moines gyrovagues qui ne sont établis nulle part et qui se déplacent au gré de “leur ferveur ou leur fantaisie” (129). Le vagabondage à la bohémienne n’est pas une fin en soi, mais un prérequis permettant aux différents personnages de s’aventurer dans l’inconnu “pour créer du nouveau” (168–69). Comment ne pas y voir des résonances avec l’invitation baudelairienne: “Allons au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau”? La quête est sans fin, et l’acte de créer est en gestation, en devenir, parce qu’on ne fait, encore et encore, que se préparer à partir, comme l’atteste la dernière phrase de l’ouvrage: “Audrey put dire ce qui avait été le rêve de sa vie: Partons! C’était sa manière à elle de dire: Créons!” (297). Tous les personnages partent—littéralement—pour une destinée qui leur est propre car chacun boit aux “sources secrètes qui exaltent [sa] soif” (12). Or, chaque fois qu’on est sur le point d’atteindre sa destination (qu’elle soit nommée liberté suprême, exaltation, sublimation ou plénitude), celle-ci se dérobe parce qu’elle est fugace, constamment ailleurs. Tout comme l’écriture qui ne parvient jamais au bout de son parcours. Et comme l’auteur, dont le premier roman L’art de rater sa vie (FR 93.1) marque déjà une vocation à l’encontre de “l’esprit du temps”, et qui continue ici ses fugues dans d’autres contrées parce qu’il n’a pas rassasié sa soif de découvrir: “Nulle demeure pour ma soif”, fait-il dire à l’un de ses personnages, car “ce que nous cherchons n’existe pas encore” (31). L’auteur est emporté dans une promesse d’émerveillement. Et nous avec lui. [End Page 247] Khadija Khalifé Independent Scholar (CA) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French","PeriodicalId":44297,"journal":{"name":"FRENCH REVIEW","volume":null,"pages":null},"PeriodicalIF":0.1000,"publicationDate":"2023-10-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":"{\"title\":\"Le monastère buissonnier par Simon Nadeau (review)\",\"authors\":\"Khadija Khalifé\",\"doi\":\"10.1353/tfr.2023.a911332\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"Reviewed by: Le monastère buissonnier par Simon Nadeau Khadija Khalifé Nadeau, Simon. Le monastère buissonnier. Boréal, 2022. ISBN 978-2-7646-3722-7. Pp. 368. Les grands poètes et penseurs sont des novateurs qui s’inscrivent nettement contre l’orthodoxie de tous genres grâce à leur liberté d’esprit et de réflexion. 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Le monastère buissonnier par Simon Nadeau (review)
Reviewed by: Le monastère buissonnier par Simon Nadeau Khadija Khalifé Nadeau, Simon. Le monastère buissonnier. Boréal, 2022. ISBN 978-2-7646-3722-7. Pp. 368. Les grands poètes et penseurs sont des novateurs qui s’inscrivent nettement contre l’orthodoxie de tous genres grâce à leur liberté d’esprit et de réflexion. Par l’intermédiaire de son protagoniste La-Mèche-Noire, Simon Nadeau réfléchit aux concepts de la liberté et de l’évolution humaines dans un monde naturellement dominé par le joug des aliénations. Le protagoniste relit les philosophes, dont Hegel pour qui le progrès de l’humanité réside “dans la conscience que l’esprit a de sa liberté” (58). Il conclut que l’esprit doit trouver un appui—paradoxalement un ailleurs—pour “se dégager de ce qui l’asservit du dedans comme du dehors” (60). L’auteur illustre ses conclusions à travers une multitude d’histoires enchaînées les unes aux autres. Et, nous transportant d’un ailleurs à un autre, chaque histoire a ses personnages, sa trame et son envol. On commence par La-Mèche-Noire résidant à Montréal au caravanier et son fils en Égypte, et on passe à la princesse Sinalayoura, et puis à d’autres personnages à Novossibirsk, à Tokyo, au Cameroun. Et on continue avec d’autres histoires passionnantes survenues en Inde. Bien que les unités de lieu et de temps éclatent, toutes ces histoires, récentes, anciennes ou légendaires, ont comme fil conducteur des personnages vagabonds qui partagent le même rejet des doctrines figées et la même utopie d’un ailleurs qui mènerait à la plénitude. L’allégorie du “monastère buissonnier”—oxymore combinant l’exil extérieur et l’exaltation intérieure—est rendue par l’image de ces moines gyrovagues qui ne sont établis nulle part et qui se déplacent au gré de “leur ferveur ou leur fantaisie” (129). Le vagabondage à la bohémienne n’est pas une fin en soi, mais un prérequis permettant aux différents personnages de s’aventurer dans l’inconnu “pour créer du nouveau” (168–69). Comment ne pas y voir des résonances avec l’invitation baudelairienne: “Allons au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau”? La quête est sans fin, et l’acte de créer est en gestation, en devenir, parce qu’on ne fait, encore et encore, que se préparer à partir, comme l’atteste la dernière phrase de l’ouvrage: “Audrey put dire ce qui avait été le rêve de sa vie: Partons! C’était sa manière à elle de dire: Créons!” (297). Tous les personnages partent—littéralement—pour une destinée qui leur est propre car chacun boit aux “sources secrètes qui exaltent [sa] soif” (12). Or, chaque fois qu’on est sur le point d’atteindre sa destination (qu’elle soit nommée liberté suprême, exaltation, sublimation ou plénitude), celle-ci se dérobe parce qu’elle est fugace, constamment ailleurs. Tout comme l’écriture qui ne parvient jamais au bout de son parcours. Et comme l’auteur, dont le premier roman L’art de rater sa vie (FR 93.1) marque déjà une vocation à l’encontre de “l’esprit du temps”, et qui continue ici ses fugues dans d’autres contrées parce qu’il n’a pas rassasié sa soif de découvrir: “Nulle demeure pour ma soif”, fait-il dire à l’un de ses personnages, car “ce que nous cherchons n’existe pas encore” (31). L’auteur est emporté dans une promesse d’émerveillement. Et nous avec lui. [End Page 247] Khadija Khalifé Independent Scholar (CA) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French