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{"title":"Mirwais ahmadzai的《全能》(评论)","authors":"Flavien Falantin","doi":"10.1353/tfr.2023.a911327","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Reviewed by: Les tout-puissants par Mirwais Ahmadzaï Flavien Falantin Ahmadzaï, Mirwais. Les tout-puissants. Séguier, 2022. ISBN 9782840498575. Pp. 272. Le compositeur et producteur de Madonna, ancien membre mythique du groupe Taxi Driver, signe un premier roman remarqué sur l’aveuglement technologique et la surveillance commerciale généralisée. Mirwais Ahmadzaï se saisit d’un instant civilisationnel qu’il voit survenir, l’instant où les populations démissionneront collectivement de leur sens critique pour obéir aux dirigeants des GAFA, rebaptisés “IG-FAA” (24). Pour interroger ce point de bascule et le degré d’aliénation aux milliardaires tout-puissants, l’auteur frappe les esprits en imaginant comment la démiurgie marketing moderne parviendrait à faire accepter aux populations la croix gammée comme symbole “magique” (17) de l’ultra-libéralisme. Sans coup férir, les swastikas se déclinent bientôt sur la plupart des objets marchands et font rapidement l’unanimité dans le monde financier, artistique et même religieux, pour qui cette soudaine banalisation permettrait “d’en réduire [l]a charge émotionnelle” (15). Sur fond de Covid-19 et de guerre en Ukraine, Lazare, le personnage principal, évolue dans un Paris orwellien (houellebecquien?) où les “réseaux sociaux, la pornographie, les jeux vidéo, les jeux sur internet, l’achat compulsif en ligne, les start-up, l’informatique continue, les blockchains, le darknet, l’hypernet, la communication instantanée [ont] détruit l’espace psychique naturel des hommes” (134–35). Dans ce décor de dématérialisation effrénée, Lazare observe que la disparition des interactions humaines se diffracte sur l’ensemble des rapports sociaux. Dépressif, le héros souffre d’une “décourageante cénesthésie” (59) et l’humanité tout entière entre en “catagenèse” (69). À l’image de Glenn Albrecht, concepteur de l’écoanxiété et de la solastalgie, Ahmadzaï théorise à sa manière les futures maladies du numérique et les différents troubles psychiques qu’elles pourront provoquer sur les populations. Ce roman impressionne donc par l’ampleur de la dérégulation en cours et du cauchemar digital dans lequel sont plongés les individus. Difficile en effet de faire civilisation dans une société où Netflix devient l’unique plateforme éducative (66), où le magistère du populisme 2.0 règne en maître sur un monde métamorphosé en “camp de consommation dirigée” (194). Mais à quel exercice se livre Ahmadzaï, s’agit-il d’un roman de science-fiction, d’une œuvre dystopique, d’anticipation ou tout simplement complotiste? L’auteur n’a cure de ses questions, il se contente de décrire le moment où les êtres humains n’auront plus la possibilité de conscientiser leur servitude volontaire. En effet, le véritable enjeu du livre revient [End Page 232] à questionner le délitement criant des valeurs, observé dans les démocraties qui brident les libertés individuelles en transformant leurs citoyens en cibles commerciales. Lorsque l’auteur décrit cette “société sadienne digitalisée” (71), il ne manque pas de se référer aux théories développées par Deleuze et Guattari dans Capitalisme et schizophrénie (Minuit, 1972), ainsi qu’aux inquiétudes civilisationnelles (158) mises en avant par Baudrillard dans Simulacre et simulation (Galilée, 1981), ou celles de Guy Debord qui, dans Commentaires sur la société du spectacle (Gérard Lebovici, 1988), annonçait que “quand l’économie toute-puissante est devenue folle [...] les temps spectaculaires ne sont rien d’autres” (39). Dès lors, quelle digue pourrait s’ériger pour contrer cette inhumanité larvée, si ce n’est le retour à la littérature, à la philosophie, à la nature, voire à la “résistance” (229)? [End Page 233] Flavien Falantin Colby College (ME) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French","PeriodicalId":44297,"journal":{"name":"FRENCH REVIEW","volume":null,"pages":null},"PeriodicalIF":0.1000,"publicationDate":"2023-10-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":"{\"title\":\"Les tout-puissants par Mirwais Ahmadzaï (review)\",\"authors\":\"Flavien Falantin\",\"doi\":\"10.1353/tfr.2023.a911327\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"Reviewed by: Les tout-puissants par Mirwais Ahmadzaï Flavien Falantin Ahmadzaï, Mirwais. Les tout-puissants. Séguier, 2022. ISBN 9782840498575. Pp. 272. Le compositeur et producteur de Madonna, ancien membre mythique du groupe Taxi Driver, signe un premier roman remarqué sur l’aveuglement technologique et la surveillance commerciale généralisée. 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Sur fond de Covid-19 et de guerre en Ukraine, Lazare, le personnage principal, évolue dans un Paris orwellien (houellebecquien?) où les “réseaux sociaux, la pornographie, les jeux vidéo, les jeux sur internet, l’achat compulsif en ligne, les start-up, l’informatique continue, les blockchains, le darknet, l’hypernet, la communication instantanée [ont] détruit l’espace psychique naturel des hommes” (134–35). Dans ce décor de dématérialisation effrénée, Lazare observe que la disparition des interactions humaines se diffracte sur l’ensemble des rapports sociaux. Dépressif, le héros souffre d’une “décourageante cénesthésie” (59) et l’humanité tout entière entre en “catagenèse” (69). À l’image de Glenn Albrecht, concepteur de l’écoanxiété et de la solastalgie, Ahmadzaï théorise à sa manière les futures maladies du numérique et les différents troubles psychiques qu’elles pourront provoquer sur les populations. 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Les tout-puissants par Mirwais Ahmadzaï (review)
Reviewed by: Les tout-puissants par Mirwais Ahmadzaï Flavien Falantin Ahmadzaï, Mirwais. Les tout-puissants. Séguier, 2022. ISBN 9782840498575. Pp. 272. Le compositeur et producteur de Madonna, ancien membre mythique du groupe Taxi Driver, signe un premier roman remarqué sur l’aveuglement technologique et la surveillance commerciale généralisée. Mirwais Ahmadzaï se saisit d’un instant civilisationnel qu’il voit survenir, l’instant où les populations démissionneront collectivement de leur sens critique pour obéir aux dirigeants des GAFA, rebaptisés “IG-FAA” (24). Pour interroger ce point de bascule et le degré d’aliénation aux milliardaires tout-puissants, l’auteur frappe les esprits en imaginant comment la démiurgie marketing moderne parviendrait à faire accepter aux populations la croix gammée comme symbole “magique” (17) de l’ultra-libéralisme. Sans coup férir, les swastikas se déclinent bientôt sur la plupart des objets marchands et font rapidement l’unanimité dans le monde financier, artistique et même religieux, pour qui cette soudaine banalisation permettrait “d’en réduire [l]a charge émotionnelle” (15). Sur fond de Covid-19 et de guerre en Ukraine, Lazare, le personnage principal, évolue dans un Paris orwellien (houellebecquien?) où les “réseaux sociaux, la pornographie, les jeux vidéo, les jeux sur internet, l’achat compulsif en ligne, les start-up, l’informatique continue, les blockchains, le darknet, l’hypernet, la communication instantanée [ont] détruit l’espace psychique naturel des hommes” (134–35). Dans ce décor de dématérialisation effrénée, Lazare observe que la disparition des interactions humaines se diffracte sur l’ensemble des rapports sociaux. Dépressif, le héros souffre d’une “décourageante cénesthésie” (59) et l’humanité tout entière entre en “catagenèse” (69). À l’image de Glenn Albrecht, concepteur de l’écoanxiété et de la solastalgie, Ahmadzaï théorise à sa manière les futures maladies du numérique et les différents troubles psychiques qu’elles pourront provoquer sur les populations. Ce roman impressionne donc par l’ampleur de la dérégulation en cours et du cauchemar digital dans lequel sont plongés les individus. Difficile en effet de faire civilisation dans une société où Netflix devient l’unique plateforme éducative (66), où le magistère du populisme 2.0 règne en maître sur un monde métamorphosé en “camp de consommation dirigée” (194). Mais à quel exercice se livre Ahmadzaï, s’agit-il d’un roman de science-fiction, d’une œuvre dystopique, d’anticipation ou tout simplement complotiste? L’auteur n’a cure de ses questions, il se contente de décrire le moment où les êtres humains n’auront plus la possibilité de conscientiser leur servitude volontaire. En effet, le véritable enjeu du livre revient [End Page 232] à questionner le délitement criant des valeurs, observé dans les démocraties qui brident les libertés individuelles en transformant leurs citoyens en cibles commerciales. Lorsque l’auteur décrit cette “société sadienne digitalisée” (71), il ne manque pas de se référer aux théories développées par Deleuze et Guattari dans Capitalisme et schizophrénie (Minuit, 1972), ainsi qu’aux inquiétudes civilisationnelles (158) mises en avant par Baudrillard dans Simulacre et simulation (Galilée, 1981), ou celles de Guy Debord qui, dans Commentaires sur la société du spectacle (Gérard Lebovici, 1988), annonçait que “quand l’économie toute-puissante est devenue folle [...] les temps spectaculaires ne sont rien d’autres” (39). Dès lors, quelle digue pourrait s’ériger pour contrer cette inhumanité larvée, si ce n’est le retour à la littérature, à la philosophie, à la nature, voire à la “résistance” (229)? [End Page 233] Flavien Falantin Colby College (ME) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French