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{"title":"阿兰·马班库(Alain Mabanckou)的《长裤贸易》(review)","authors":"Jean-François Duclos","doi":"10.1353/tfr.2023.a911329","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Reviewed by: Le commerce des allongés par Alain Mabanckou Jean-François Duclos Mabanckou, Alain. Le commerce des allongés. Seuil, 2022. ISBN 978-2-02-141321-2. Pp. 304. À peine enterré au cimetière du Frère Lachaise de Pointe-Noire, et sous l’effet combiné de ce qui ressemble à un tremblement de terre et un cyclone, Liwa Ekimakingfaï, vêtu d’une “veste orange en crêpe et à larges revers”, d’une “chemise verte fluorescente” et d’un “nœud papillon blanc” (14), resurgit de sa tombe. Que s’est-il passé pour que quatre jours plus tôt ce modeste aide-cuisinier ait perdu la vie et qu’il ait eu droit à des funérailles quasi nationales? Il faut, pour y répondre, un narrateur d’une omniscience capable de passer d’un monde à l’autre et qui fasse de Liwa à la fois le personnage central et, par l’usage continu de la seconde personne du singulier, l’auditeur principal de ce récit. Liwa, dont le patronyme signifie “la mort a eu peur de moi”, se dirige d’abord vers la maison où il a vécu avec sa grand-mère. Au rythme du souvenir des jours de ses funérailles, il y revoit ceux qu’il a laissés derrière lui. Mais sa présence parmi eux n’est pas la bienvenue et de retour au cimetière, il rejoint officiellement la communauté des “allongés” dont le règlement intérieur n’a rien à envier à ceux des vivants. Chacun leur tour, et “sans distinction de classes sociales (…) maintenant révolues” (118), ils lui font le récit de leur infortune. Il ressort de ces malheurs individuels l’image d’une société dominée par l’impunité des puissants, que ces derniers agissent au nom du pays ou de Dieu. On comprend bientôt que Liwa a croisé le chemin d’un d’entre eux et signé, par l’effet de sa seule malchance, son arrêt de mort. Cette troisième et dernière partie permet de donner à ces mémoires d’outre-tombe l’unité qui semblait manquer dans les deux premières, même si les lecteurs retrouvent dès les premières pages le Pointe-Noire devenu, au fil des livres de Mabanckou, la matrice de son imaginaire. Par diffractions, le récit répond aussi à plusieurs questions d’ordre autobiographique. Que se serait-il passé si l’auteur n’avait pas quitté son pays natal? Qu’aurait-il pu lui arriver si, une fois en France, il y était retourné? Le récit répond à chacune de ces questions par une mort scandaleuse. Aussi n’est-il pas étonnant que la figure de la mère, présente dans toute l’œuvre, soit ici remplacée par celle d’une grand-mère dont le visage est sans cesse détourné, condamnant le jeune garçon défunt à ne la voir que de dos. Cette mise à distance orphique agit comme une malédiction et comme le point aveugle de l’œuvre de Mabanckou. Que la ville et ses habitants soient cette fois-ci montrés par l’intermédiaire d’un vocatif si puissant permet d’accentuer la dimension de réalisme magique présente depuis toujours chez l’auteur de Demain j’aurai vingt ans. Surtout, Le commerce des allongés (“commerce” ayant le sens de fréquentation que lui donne Montaigne) donne à ce roman une tonalité plus sombre que d’habitude, et qu’a déjà soulignée la critique. La justice des hommes est-elle si crapuleuse que la seule revanche possible ne soit envisageable qu’une fois mort? 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Le commerce des allongés par Alain Mabanckou (review)
Reviewed by: Le commerce des allongés par Alain Mabanckou Jean-François Duclos Mabanckou, Alain. Le commerce des allongés. Seuil, 2022. ISBN 978-2-02-141321-2. Pp. 304. À peine enterré au cimetière du Frère Lachaise de Pointe-Noire, et sous l’effet combiné de ce qui ressemble à un tremblement de terre et un cyclone, Liwa Ekimakingfaï, vêtu d’une “veste orange en crêpe et à larges revers”, d’une “chemise verte fluorescente” et d’un “nœud papillon blanc” (14), resurgit de sa tombe. Que s’est-il passé pour que quatre jours plus tôt ce modeste aide-cuisinier ait perdu la vie et qu’il ait eu droit à des funérailles quasi nationales? Il faut, pour y répondre, un narrateur d’une omniscience capable de passer d’un monde à l’autre et qui fasse de Liwa à la fois le personnage central et, par l’usage continu de la seconde personne du singulier, l’auditeur principal de ce récit. Liwa, dont le patronyme signifie “la mort a eu peur de moi”, se dirige d’abord vers la maison où il a vécu avec sa grand-mère. Au rythme du souvenir des jours de ses funérailles, il y revoit ceux qu’il a laissés derrière lui. Mais sa présence parmi eux n’est pas la bienvenue et de retour au cimetière, il rejoint officiellement la communauté des “allongés” dont le règlement intérieur n’a rien à envier à ceux des vivants. Chacun leur tour, et “sans distinction de classes sociales (…) maintenant révolues” (118), ils lui font le récit de leur infortune. Il ressort de ces malheurs individuels l’image d’une société dominée par l’impunité des puissants, que ces derniers agissent au nom du pays ou de Dieu. On comprend bientôt que Liwa a croisé le chemin d’un d’entre eux et signé, par l’effet de sa seule malchance, son arrêt de mort. Cette troisième et dernière partie permet de donner à ces mémoires d’outre-tombe l’unité qui semblait manquer dans les deux premières, même si les lecteurs retrouvent dès les premières pages le Pointe-Noire devenu, au fil des livres de Mabanckou, la matrice de son imaginaire. Par diffractions, le récit répond aussi à plusieurs questions d’ordre autobiographique. Que se serait-il passé si l’auteur n’avait pas quitté son pays natal? Qu’aurait-il pu lui arriver si, une fois en France, il y était retourné? Le récit répond à chacune de ces questions par une mort scandaleuse. Aussi n’est-il pas étonnant que la figure de la mère, présente dans toute l’œuvre, soit ici remplacée par celle d’une grand-mère dont le visage est sans cesse détourné, condamnant le jeune garçon défunt à ne la voir que de dos. Cette mise à distance orphique agit comme une malédiction et comme le point aveugle de l’œuvre de Mabanckou. Que la ville et ses habitants soient cette fois-ci montrés par l’intermédiaire d’un vocatif si puissant permet d’accentuer la dimension de réalisme magique présente depuis toujours chez l’auteur de Demain j’aurai vingt ans. Surtout, Le commerce des allongés (“commerce” ayant le sens de fréquentation que lui donne Montaigne) donne à ce roman une tonalité plus sombre que d’habitude, et qu’a déjà soulignée la critique. La justice des hommes est-elle si crapuleuse que la seule revanche possible ne soit envisageable qu’une fois mort? [End Page 244] Jean-François Duclos Metropolitan State University of Denver (CO) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French