求助PDF
{"title":"Blanc par Sylvain Tesson(评论)","authors":"Marie-Agnès Sourieau","doi":"10.1353/tfr.2023.a911340","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Reviewed by: Blanc par Sylvain Tesson Marie-Agnès Sourieau Tesson, Sylvain. Blanc. Gallimard, 2022. ISBN 978-2-07-296063-5. Pp. 240. Alors que le monde se confine pour se préserver du fléau pandémique, Tesson fuit vers un ailleurs de liberté. L’écrivain-aventurier de l’extrême entreprend la traversée à ski de l’arc des Alpes, de Menton à Trieste, sur une période de quatre hivers. L’effort physique intense au sein de la blancheur ‘magique’ mais aussi terrifiante de périls insuffle à l’écriture rythmée de Tesson sa poésie et ses réflexions philosophiques. Guidé par deux compagnons skieurs chevronnés, il zigzague de refuges en hameaux, entre cols et pentes vertigineuses, falaises à escalader encordés et forêts enchantées de lumière cristalline. Dans le paysage sans contours flottent pics, parois, crêtes, piliers, et le skieur sent son corps et son esprit se dissoudre, son angoisse s’anesthésier dans le Blanc, “véritable réservoir hypnotique” (117). Temps et conscience sont abolis, espoirs et regrets dilués dans la substance où tout s’annule. Pour Tesson, le Blanc, avec majuscule, est plus qu’une couleur, c’est une substance qui transforme son être en un état permanent de survie car “la blancheur est dangereuse […] si on craque on est mort” (180). Son accident d’escalade urbaine lui a laissé des séquelles physiques considérables qu’il doit surmonter à chaque instant. Aller aux limites de soi, risquer sa vie est le prix de sa conduite ordalique dont il jouit comme d’un aphrodisiaque. Les tempêtes de neige cinglantes, les avalanches, le vent glacial tout comme la splendeur du Blanc parfois teinté de rose, de bleu nacré ou de paillettes argentées, déclenchent ses réflexions sur la temporalité, le bonheur de vivre, la douleur de la disparition d’êtres chers ou encore les maux que confrontent nos sociétés. La poésie le galvanise, particulièrement Les illuminations de Rimbaud qu’il rumine et cite au long du parcours, tout comme Baudelaire, Mallarmé, Maeterlinck, Hugo, Cendras, Gautier et d’autres. La poésie scande le rythme de l’effort et concentre l’esprit. La majesté alentour lui rappelle les tableaux de Loppé et de Ruskin qui s’harmonisent aux sonorités somptueuses des symphonies de Beethoven et de Mahler. Tesson aspire au mariage “entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffinements de l’esprit” (117). Il découvre que ce désir de fusion est partagé par les nombreux randonneurs qu’il rencontre dans les refuges, ‘empruntant’ les livres que d’autres ont laissés, participant à une atmosphère de paix et de sécurité, donc de liberté. Lectures et conversations autour du poêle à bois créent une source de grand réconfort après les journées harassantes. À basse altitude apparaît, tel un mirage funeste, la civilisation et ses laideurs. Barrages de béton, pylônes, éoliennes géantes battant le ciel reflètent l’angoisse des tableaux de Bilal ou de Schuiten, illustrateurs des menaces auxquelles l’humanité est déjà confrontée. La neige fondra au printemps mais reviendra-t-elle l’hiver prochain pour accueillir la trace? L’écrivain-skieur craint que le royaume physique et onirique dont il a franchi les frontières disparaisse. Cette étendue blanche, métaphore de la page blanche, incite l’écrivain à raconter avec brio son odyssée, épreuve physique mais aussi itinéraire spirituel. Ce livre magnifique transporte le lecteur vers un ailleurs triomphant. [End Page 254] Marie-Agnès Sourieau Fairfield University (CT) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French","PeriodicalId":44297,"journal":{"name":"FRENCH REVIEW","volume":"127 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.1000,"publicationDate":"2023-10-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":"{\"title\":\"Blanc par Sylvain Tesson (review)\",\"authors\":\"Marie-Agnès Sourieau\",\"doi\":\"10.1353/tfr.2023.a911340\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"Reviewed by: Blanc par Sylvain Tesson Marie-Agnès Sourieau Tesson, Sylvain. Blanc. Gallimard, 2022. ISBN 978-2-07-296063-5. Pp. 240. Alors que le monde se confine pour se préserver du fléau pandémique, Tesson fuit vers un ailleurs de liberté. L’écrivain-aventurier de l’extrême entreprend la traversée à ski de l’arc des Alpes, de Menton à Trieste, sur une période de quatre hivers. L’effort physique intense au sein de la blancheur ‘magique’ mais aussi terrifiante de périls insuffle à l’écriture rythmée de Tesson sa poésie et ses réflexions philosophiques. Guidé par deux compagnons skieurs chevronnés, il zigzague de refuges en hameaux, entre cols et pentes vertigineuses, falaises à escalader encordés et forêts enchantées de lumière cristalline. Dans le paysage sans contours flottent pics, parois, crêtes, piliers, et le skieur sent son corps et son esprit se dissoudre, son angoisse s’anesthésier dans le Blanc, “véritable réservoir hypnotique” (117). Temps et conscience sont abolis, espoirs et regrets dilués dans la substance où tout s’annule. Pour Tesson, le Blanc, avec majuscule, est plus qu’une couleur, c’est une substance qui transforme son être en un état permanent de survie car “la blancheur est dangereuse […] si on craque on est mort” (180). Son accident d’escalade urbaine lui a laissé des séquelles physiques considérables qu’il doit surmonter à chaque instant. Aller aux limites de soi, risquer sa vie est le prix de sa conduite ordalique dont il jouit comme d’un aphrodisiaque. Les tempêtes de neige cinglantes, les avalanches, le vent glacial tout comme la splendeur du Blanc parfois teinté de rose, de bleu nacré ou de paillettes argentées, déclenchent ses réflexions sur la temporalité, le bonheur de vivre, la douleur de la disparition d’êtres chers ou encore les maux que confrontent nos sociétés. La poésie le galvanise, particulièrement Les illuminations de Rimbaud qu’il rumine et cite au long du parcours, tout comme Baudelaire, Mallarmé, Maeterlinck, Hugo, Cendras, Gautier et d’autres. La poésie scande le rythme de l’effort et concentre l’esprit. La majesté alentour lui rappelle les tableaux de Loppé et de Ruskin qui s’harmonisent aux sonorités somptueuses des symphonies de Beethoven et de Mahler. Tesson aspire au mariage “entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffinements de l’esprit” (117). Il découvre que ce désir de fusion est partagé par les nombreux randonneurs qu’il rencontre dans les refuges, ‘empruntant’ les livres que d’autres ont laissés, participant à une atmosphère de paix et de sécurité, donc de liberté. Lectures et conversations autour du poêle à bois créent une source de grand réconfort après les journées harassantes. À basse altitude apparaît, tel un mirage funeste, la civilisation et ses laideurs. Barrages de béton, pylônes, éoliennes géantes battant le ciel reflètent l’angoisse des tableaux de Bilal ou de Schuiten, illustrateurs des menaces auxquelles l’humanité est déjà confrontée. La neige fondra au printemps mais reviendra-t-elle l’hiver prochain pour accueillir la trace? L’écrivain-skieur craint que le royaume physique et onirique dont il a franchi les frontières disparaisse. Cette étendue blanche, métaphore de la page blanche, incite l’écrivain à raconter avec brio son odyssée, épreuve physique mais aussi itinéraire spirituel. Ce livre magnifique transporte le lecteur vers un ailleurs triomphant. [End Page 254] Marie-Agnès Sourieau Fairfield University (CT) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French\",\"PeriodicalId\":44297,\"journal\":{\"name\":\"FRENCH REVIEW\",\"volume\":\"127 1\",\"pages\":\"0\"},\"PeriodicalIF\":0.1000,\"publicationDate\":\"2023-10-01\",\"publicationTypes\":\"Journal Article\",\"fieldsOfStudy\":null,\"isOpenAccess\":false,\"openAccessPdf\":\"\",\"citationCount\":\"0\",\"resultStr\":null,\"platform\":\"Semanticscholar\",\"paperid\":null,\"PeriodicalName\":\"FRENCH REVIEW\",\"FirstCategoryId\":\"1085\",\"ListUrlMain\":\"https://doi.org/10.1353/tfr.2023.a911340\",\"RegionNum\":4,\"RegionCategory\":\"文学\",\"ArticlePicture\":[],\"TitleCN\":null,\"AbstractTextCN\":null,\"PMCID\":null,\"EPubDate\":\"\",\"PubModel\":\"\",\"JCR\":\"0\",\"JCRName\":\"LITERATURE, ROMANCE\",\"Score\":null,\"Total\":0}","platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"FRENCH REVIEW","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.1353/tfr.2023.a911340","RegionNum":4,"RegionCategory":"文学","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"0","JCRName":"LITERATURE, ROMANCE","Score":null,"Total":0}
引用次数: 0
引用
批量引用
Blanc par Sylvain Tesson (review)
Reviewed by: Blanc par Sylvain Tesson Marie-Agnès Sourieau Tesson, Sylvain. Blanc. Gallimard, 2022. ISBN 978-2-07-296063-5. Pp. 240. Alors que le monde se confine pour se préserver du fléau pandémique, Tesson fuit vers un ailleurs de liberté. L’écrivain-aventurier de l’extrême entreprend la traversée à ski de l’arc des Alpes, de Menton à Trieste, sur une période de quatre hivers. L’effort physique intense au sein de la blancheur ‘magique’ mais aussi terrifiante de périls insuffle à l’écriture rythmée de Tesson sa poésie et ses réflexions philosophiques. Guidé par deux compagnons skieurs chevronnés, il zigzague de refuges en hameaux, entre cols et pentes vertigineuses, falaises à escalader encordés et forêts enchantées de lumière cristalline. Dans le paysage sans contours flottent pics, parois, crêtes, piliers, et le skieur sent son corps et son esprit se dissoudre, son angoisse s’anesthésier dans le Blanc, “véritable réservoir hypnotique” (117). Temps et conscience sont abolis, espoirs et regrets dilués dans la substance où tout s’annule. Pour Tesson, le Blanc, avec majuscule, est plus qu’une couleur, c’est une substance qui transforme son être en un état permanent de survie car “la blancheur est dangereuse […] si on craque on est mort” (180). Son accident d’escalade urbaine lui a laissé des séquelles physiques considérables qu’il doit surmonter à chaque instant. Aller aux limites de soi, risquer sa vie est le prix de sa conduite ordalique dont il jouit comme d’un aphrodisiaque. Les tempêtes de neige cinglantes, les avalanches, le vent glacial tout comme la splendeur du Blanc parfois teinté de rose, de bleu nacré ou de paillettes argentées, déclenchent ses réflexions sur la temporalité, le bonheur de vivre, la douleur de la disparition d’êtres chers ou encore les maux que confrontent nos sociétés. La poésie le galvanise, particulièrement Les illuminations de Rimbaud qu’il rumine et cite au long du parcours, tout comme Baudelaire, Mallarmé, Maeterlinck, Hugo, Cendras, Gautier et d’autres. La poésie scande le rythme de l’effort et concentre l’esprit. La majesté alentour lui rappelle les tableaux de Loppé et de Ruskin qui s’harmonisent aux sonorités somptueuses des symphonies de Beethoven et de Mahler. Tesson aspire au mariage “entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffinements de l’esprit” (117). Il découvre que ce désir de fusion est partagé par les nombreux randonneurs qu’il rencontre dans les refuges, ‘empruntant’ les livres que d’autres ont laissés, participant à une atmosphère de paix et de sécurité, donc de liberté. Lectures et conversations autour du poêle à bois créent une source de grand réconfort après les journées harassantes. À basse altitude apparaît, tel un mirage funeste, la civilisation et ses laideurs. Barrages de béton, pylônes, éoliennes géantes battant le ciel reflètent l’angoisse des tableaux de Bilal ou de Schuiten, illustrateurs des menaces auxquelles l’humanité est déjà confrontée. La neige fondra au printemps mais reviendra-t-elle l’hiver prochain pour accueillir la trace? L’écrivain-skieur craint que le royaume physique et onirique dont il a franchi les frontières disparaisse. Cette étendue blanche, métaphore de la page blanche, incite l’écrivain à raconter avec brio son odyssée, épreuve physique mais aussi itinéraire spirituel. Ce livre magnifique transporte le lecteur vers un ailleurs triomphant. [End Page 254] Marie-Agnès Sourieau Fairfield University (CT) Copyright © 2023 American Association of Teachers of French