安娜贝尔·金的《cacaphhonies》(书评)

Joanne Brueton
{"title":"安娜贝尔·金的《cacaphhonies》(书评)","authors":"Joanne Brueton","doi":"10.1353/nef.2023.a905947","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Reviewed by: Cacaphonies by Annabel Kim Joanne Brueton Kim, Annabel. Cacaphonies. Minneapolis, U of Minnesota P, 2022. ISBN 9781517910877. 296 p. Merde! En 1896, devant tout le gratin de l’avant-garde littéraire, Alfred Jarry transforme la merde en un signifiant tristement célèbre. Jarry orthographie mal le mot “merde” (“merdre”), nous invitant par là à penser l’excrémentiel comme ce qui briserait l’ordre symbolique: la matière opaque, supplémentaire et énonciative qui, selon la belle formule de Lacan, est un “mot d’avant le commencement” (Lacan 660). Le “r” supplémentaire de “merdre,” aussi bien que sa paronomasie, attire notre attention sur les restes—la merde—au cœur même de tout échange symbolique, à tel point que l’excrémentiel semble s’attaquer tant à la langue qu’au sens littéraire. Or Cacaphonies, l’étude adroite, inédite et pleine d’esprit que nous offre Annabel Kim, érige la merde en un lieu épistémologique privilégié et foisonnant de sens dans la littérature française du 20e siècle. À partir d’un corpus de huit auteurs français incontournables du canon littéraire moderne, dont Céline, Beckett, Sartre, Genet, Duras, Gary, Garréta et Pennac, l’ouvrage s’intéresse à la manière dont la merde—souvent pensée comme signifiant vide (Jarry), substitut psychanalytique (Freud) ou symbole scatologique d’abjection à expulser et à désavouer (Kristeva)—peut opérer comme un vecteur d’égalité radicale. Elle devient donc un levier démocratique qui fait s’effondrer l’élitisme de l’objet littéraire prônant l’universalisme abstrait de la nation française, dont la mission civilisatrice, les valeurs rationalistes des Lumières et l’effa-cement de la différence ne font qu’exclure et déshumaniser. En s’appuyant sur les embûches idéalistes d’un universalisme “riche de tout le particulier” chez Césaire (Lettre à Maurice Thorez 9), qui préconiserait une expérience vécue de l’individu se privant, toutefois, des corps incarnés qui sont les véritables interlocuteurs du monde, Kim nous offre une théorisation d’un universalisme fécal: l’acte de chier, plus encore que toutes nos autres fonctions corporelles, est un acte universel qui transcende toute différence [. . .] La matière fécale [. . .] nous rappelle la matérialité et le caractère concret de l’existence humaine [. . .] elle brise, mieux que toute autre chose, l’illusion que nous sommes des abstractions propres. (28–29)21 [End Page 255] Si le texte de Kim met en avant le “fondement fécal” de ces auteurs phares, son analyse se penche sur l’expérience viscérale d’une littérature française moderne qui remet en cause la représentation du “corps comme propre et respectable, notamment dans une littérature canonisée qui agit comme vecteur essentiel de la diffusion de la francité” (30),22 afin de révéler la potentielle éthique d’un corp[u]s qui, à la Genet dans son étude de Rembrandt, “digère, est chaud, lourd, qui sent, et qui chie” (“Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes” [22]). Divisé en trois parties et six chapitres, tous ornés de calembours idiomatiques qui font valoir la polysémie de la merde et le communautarisme de son expression argotique (“Necessary Shit,” “Shitty Ideas,” “Political Shit”), l’ouvrage prend pour point de départ le contexte déshumanisant et nécropolitique d’un 20e siècle saturé de mort. Kim parvient à tisser un lien contextuel entre la peine de mort écologique dans l’Anthropocène et la représentation de la vulnérabilité absolue du corps hu-main dans la littérature moderne (22). C’est ainsi que l’excrément dans son corpus se détache du carnavalesque rabelaisien, de sa subversion du pouvoir au 16e siècle et de son statut euphémistique de souillure sociale au 19e siècle. Pour l’auteure, la merde moderne est un pharmakon, au sens où elle devient un poison lorsqu’elle signifie l’abjection, la mutilation ontologique, l’infamie, ou ce...","PeriodicalId":19369,"journal":{"name":"Nouvelles Études Francophones","volume":"45 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2023-01-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":"{\"title\":\"Cacaphonies by Annabel Kim (review)\",\"authors\":\"Joanne Brueton\",\"doi\":\"10.1353/nef.2023.a905947\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"Reviewed by: Cacaphonies by Annabel Kim Joanne Brueton Kim, Annabel. Cacaphonies. Minneapolis, U of Minnesota P, 2022. ISBN 9781517910877. 296 p. Merde! En 1896, devant tout le gratin de l’avant-garde littéraire, Alfred Jarry transforme la merde en un signifiant tristement célèbre. 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摘要

乔安妮·布鲁顿·金,安娜贝尔·金。Cacaphonies。= =地理= =根据美国人口普查局的数据,该县总面积为,其中土地和(1.)水。en 9781517910877。296页,该死!1896年,阿尔弗雷德·杰瑞(Alfred Jarry)当着所有文学先锋的面,把垃圾变成了一个臭名昭著的象征。杰瑞把“垃圾”这个词拼错了,因此邀请我们把“排泄”看作是打破象征秩序的东西:不透明的、额外的、表达性的物质,根据拉康的美丽公式,它是一个“开始之前的词”(拉康660)。“屎”的附加“r”,以及它的副词,把我们的注意力吸引到残余物——屎——在任何象征性交换的核心,以至于排泄似乎攻击了语言和文学意义。安娜贝尔·金(Annabel Kim)巧妙、新颖、充满智慧的研究《Cacaphonies》(Cacaphonies)将《merde》提升为20世纪法国文学中一个享有特权的认识论场所,充满了意义。从语料库的八位文人必备的法国现代文学的火爆,其中席琳·贝克特、萨特、Genet, Gary Duras Garréta和Pennac编著,常常关注如何大便—思维理解为空(Jarry scatologique)(弗洛伊德心理分析,替代或象征的驱逐,并断绝关系(朱丽娅)—手术作为载体,可以彻底平等。因此,它成为了一种民主杠杆,粉碎了文学对象的精英主义,这些文学对象提倡法国民族的抽象普遍主义,而法国民族的文明使命、启蒙运动的理性价值和差异的有效性只会排斥和非人化。基于cesaire(致莫里斯·多雷兹的信9)中“充满特殊”的普遍主义的理想主义陷阱,他提倡一种个人的生活体验,然而,剥夺了作为世界真正对话者的化身的身体,金为我们提供了一种封建普遍主义的理论:拉屎契据,更是我们所有其他身体功能,是一种普遍的行为超越了任何差异。[……]。[…]粪便物质的事实提醒我们人类存在的具体性质。[…]打断她,胜过其他任何东西的错觉,我们自身的抽象。[21(28—29)End 255页]金正恩的案文是否突出了这些作者的排泄物“根据地”的龙头,他着眼于分析现代法国文学的内心体验的质疑“身体作为自己的代表权和可敬的,尤其是在一个文学被作为重要载体传播的法国人”(30),以揭示潜在22 [u] s corp)的伦理、Genet伦勃朗在研究中发现,“消化,很热,沉重的,有气味的,吱吱作响的”(“伦勃朗剩下的东西被撕成规则的小方块,然后被鞭打”[22])。分成三部分的双关语和六章,都装饰着地道辩称多义词的屎和社群主义的表达方式(“argotique faut狗屎,”“Shitty Ideas”、“政务“狗屎”)一书,为出发点而凄苦的背景nécropolitique饱和的,20世纪的死亡。金成功地在人类世的生态死刑与现代文学中人类身体的绝对脆弱性之间建立了上下文联系(22)。因此,他的文集中的粪便脱离了拉伯雷的狂欢,脱离了16世纪对权力的颠覆,脱离了19世纪社会污秽的委婉地位。对作者来说,现代垃圾是一种药剂,从某种意义上说,当它意味着卑劣、本体论的残害、耻辱或其他什么时,它就变成了一种毒药……
本文章由计算机程序翻译,如有差异,请以英文原文为准。
Cacaphonies by Annabel Kim (review)
Reviewed by: Cacaphonies by Annabel Kim Joanne Brueton Kim, Annabel. Cacaphonies. Minneapolis, U of Minnesota P, 2022. ISBN 9781517910877. 296 p. Merde! En 1896, devant tout le gratin de l’avant-garde littéraire, Alfred Jarry transforme la merde en un signifiant tristement célèbre. Jarry orthographie mal le mot “merde” (“merdre”), nous invitant par là à penser l’excrémentiel comme ce qui briserait l’ordre symbolique: la matière opaque, supplémentaire et énonciative qui, selon la belle formule de Lacan, est un “mot d’avant le commencement” (Lacan 660). Le “r” supplémentaire de “merdre,” aussi bien que sa paronomasie, attire notre attention sur les restes—la merde—au cœur même de tout échange symbolique, à tel point que l’excrémentiel semble s’attaquer tant à la langue qu’au sens littéraire. Or Cacaphonies, l’étude adroite, inédite et pleine d’esprit que nous offre Annabel Kim, érige la merde en un lieu épistémologique privilégié et foisonnant de sens dans la littérature française du 20e siècle. À partir d’un corpus de huit auteurs français incontournables du canon littéraire moderne, dont Céline, Beckett, Sartre, Genet, Duras, Gary, Garréta et Pennac, l’ouvrage s’intéresse à la manière dont la merde—souvent pensée comme signifiant vide (Jarry), substitut psychanalytique (Freud) ou symbole scatologique d’abjection à expulser et à désavouer (Kristeva)—peut opérer comme un vecteur d’égalité radicale. Elle devient donc un levier démocratique qui fait s’effondrer l’élitisme de l’objet littéraire prônant l’universalisme abstrait de la nation française, dont la mission civilisatrice, les valeurs rationalistes des Lumières et l’effa-cement de la différence ne font qu’exclure et déshumaniser. En s’appuyant sur les embûches idéalistes d’un universalisme “riche de tout le particulier” chez Césaire (Lettre à Maurice Thorez 9), qui préconiserait une expérience vécue de l’individu se privant, toutefois, des corps incarnés qui sont les véritables interlocuteurs du monde, Kim nous offre une théorisation d’un universalisme fécal: l’acte de chier, plus encore que toutes nos autres fonctions corporelles, est un acte universel qui transcende toute différence [. . .] La matière fécale [. . .] nous rappelle la matérialité et le caractère concret de l’existence humaine [. . .] elle brise, mieux que toute autre chose, l’illusion que nous sommes des abstractions propres. (28–29)21 [End Page 255] Si le texte de Kim met en avant le “fondement fécal” de ces auteurs phares, son analyse se penche sur l’expérience viscérale d’une littérature française moderne qui remet en cause la représentation du “corps comme propre et respectable, notamment dans une littérature canonisée qui agit comme vecteur essentiel de la diffusion de la francité” (30),22 afin de révéler la potentielle éthique d’un corp[u]s qui, à la Genet dans son étude de Rembrandt, “digère, est chaud, lourd, qui sent, et qui chie” (“Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes” [22]). Divisé en trois parties et six chapitres, tous ornés de calembours idiomatiques qui font valoir la polysémie de la merde et le communautarisme de son expression argotique (“Necessary Shit,” “Shitty Ideas,” “Political Shit”), l’ouvrage prend pour point de départ le contexte déshumanisant et nécropolitique d’un 20e siècle saturé de mort. Kim parvient à tisser un lien contextuel entre la peine de mort écologique dans l’Anthropocène et la représentation de la vulnérabilité absolue du corps hu-main dans la littérature moderne (22). C’est ainsi que l’excrément dans son corpus se détache du carnavalesque rabelaisien, de sa subversion du pouvoir au 16e siècle et de son statut euphémistique de souillure sociale au 19e siècle. Pour l’auteure, la merde moderne est un pharmakon, au sens où elle devient un poison lorsqu’elle signifie l’abjection, la mutilation ontologique, l’infamie, ou ce...
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