{"title":"Nicolas Pitz和Nicolas Wouters的交叉采访","authors":"Alicia Lambert, Nicolas Pitz, Nicolas Wouters","doi":"10.1353/nef.2023.a905932","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Entretien croisé avec Nicolas Pitz et Nicolas Wouters Alicia Lambert (bio), Nicolas Pitz (bio), and Nicolas Wouters (bio) Les entretiens ont été initialement réalisés en visioconférence (Teams), le 07 octobre 2021 avec Nicolas Wouters, et le 19 janvier 2022 avec Nicolas Pitz. Les enregistrements ont ensuite été retranscrits, afin que certaines parties puissent être sélectionnées et adaptées à la publication d’un entretien croisé, avec l’accord des deux auteurs. alicia lambert: Les bandes dessinées Les Jardins du Congo (Nicolas Pitz, 2013) et Elle ne parlait jamais du Congo (Nicolas Wouters, 2017) sont dédiées à l’expérience de vos grands-parents en tant qu’anciens colons dans le Congo belge des années cinquante. Qu’est-ce qui vous a amenés vers ce sujet? nicolas pitz: C’était cette envie de savoir d’où on vient, de savoir qui étaient mes parents et grands-parents. Il y avait plein de secrets de famille. Le fait que mes grands-parents et mes parents avaient vécu au Congo, c’était assez caché, presque invisibilsé. Que cela soit chez mes grands-parents ou chez mes parents, il y avait toujours des objets, mais ils étaient cachés. En étant enfants, on jouait avec, mais on ne savait pas vraiment ce que c’était. Mes cousins et moi avons simplement posé des questions. Un jour, à l’adolescence, je demande à mes grands-parents de m’expliquer ce que c’était le Congo. C’était très frustrant, je posais des questions très simples, et je me retrouvais face à un mur. Toutes leurs réponses étaient complètement contradictoires, rien n’était clair. On me disait des banalités historiques, comme si j’ouvrais un Wikipedia aujourd’hui. Moi, ce qui m’intéressait, ce n’était pas la grande histoire, mais ce qu’eux avaient été faire là-bas. Confronté à un mur de mécaniques de défense, je creusais, donc je dérangeais. Je posais les mauvaises questions, et c’est ça qu’il fallait faire. nicolas wouters: Je savais que j’allais faire une thèse de doctorat à l’Université Catholique de Louvain (UCL). J’avais fait de la BD, et j’avais étudié le cinéma à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD). Il y avait déjà cette idée, dans la thèse, de travailler sur la transmission de la mémoire et sur l’animation. Mon travail de fin d’études en BD, c’était sur mon grand-père, du côté de mon [End Page 192] père (sur son éducation chrétienne), et j’avais bien aimé travailler sur une figure familiale. Puis j’ai pensé au grand-père du côté de ma mère, qui était parti au Congo. Et je me suis vite rendu compte qu’il y avait un problème, lié au fait que les destins masculins avaient été énormément abordés dans la famille. J’avais l’impression qu’il n’y avait rien qui résistait à une espèce de biographie héroïque de mon grand-père au Congo. J’ai repensé à la relation que j’avais avec ma grand-mère, car mon grand-père est mort quand j’étais très jeune. Derrière l’impression que j’avais que mon grand-père était le centre d’intérêt, j’étais fourvoyé par cette espèce d’imaginaire patriarcal. Je trouvais cela intéressant de le questionner, de le contourner, de trouver une voie plus intersection-nelle. Il ne s’agissait pas juste d’aborder la colonisation, mais de l’aborder sous un point de vue féminin. On parle d’une mémoire traumatique, qui s’inscrit dans des réseaux de domination qui sont encore présents aujourd’hui. Quand on commence à s’intéresser à ce passé, on peut reproduire des logiques coloniales, c’est-à-dire reproduire cette domination coloniale. On se retrouve très vite à rejouer le colonialisme, sans le vouloir. Pour moi, l’intimité, c’était la porte vers une forme de légitimité. al: Pourquoi avoir choisi le médium de la BD...","PeriodicalId":19369,"journal":{"name":"Nouvelles Études Francophones","volume":"10 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2023-01-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"1","resultStr":"{\"title\":\"Entretien croisé avec Nicolas Pitz et Nicolas Wouters\",\"authors\":\"Alicia Lambert, Nicolas Pitz, Nicolas Wouters\",\"doi\":\"10.1353/nef.2023.a905932\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"Entretien croisé avec Nicolas Pitz et Nicolas Wouters Alicia Lambert (bio), Nicolas Pitz (bio), and Nicolas Wouters (bio) Les entretiens ont été initialement réalisés en visioconférence (Teams), le 07 octobre 2021 avec Nicolas Wouters, et le 19 janvier 2022 avec Nicolas Pitz. 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Mes cousins et moi avons simplement posé des questions. Un jour, à l’adolescence, je demande à mes grands-parents de m’expliquer ce que c’était le Congo. C’était très frustrant, je posais des questions très simples, et je me retrouvais face à un mur. Toutes leurs réponses étaient complètement contradictoires, rien n’était clair. On me disait des banalités historiques, comme si j’ouvrais un Wikipedia aujourd’hui. Moi, ce qui m’intéressait, ce n’était pas la grande histoire, mais ce qu’eux avaient été faire là-bas. Confronté à un mur de mécaniques de défense, je creusais, donc je dérangeais. Je posais les mauvaises questions, et c’est ça qu’il fallait faire. nicolas wouters: Je savais que j’allais faire une thèse de doctorat à l’Université Catholique de Louvain (UCL). J’avais fait de la BD, et j’avais étudié le cinéma à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD). Il y avait déjà cette idée, dans la thèse, de travailler sur la transmission de la mémoire et sur l’animation. Mon travail de fin d’études en BD, c’était sur mon grand-père, du côté de mon [End Page 192] père (sur son éducation chrétienne), et j’avais bien aimé travailler sur une figure familiale. Puis j’ai pensé au grand-père du côté de ma mère, qui était parti au Congo. Et je me suis vite rendu compte qu’il y avait un problème, lié au fait que les destins masculins avaient été énormément abordés dans la famille. J’avais l’impression qu’il n’y avait rien qui résistait à une espèce de biographie héroïque de mon grand-père au Congo. J’ai repensé à la relation que j’avais avec ma grand-mère, car mon grand-père est mort quand j’étais très jeune. Derrière l’impression que j’avais que mon grand-père était le centre d’intérêt, j’étais fourvoyé par cette espèce d’imaginaire patriarcal. Je trouvais cela intéressant de le questionner, de le contourner, de trouver une voie plus intersection-nelle. Il ne s’agissait pas juste d’aborder la colonisation, mais de l’aborder sous un point de vue féminin. 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Entretien croisé avec Nicolas Pitz et Nicolas Wouters
Entretien croisé avec Nicolas Pitz et Nicolas Wouters Alicia Lambert (bio), Nicolas Pitz (bio), and Nicolas Wouters (bio) Les entretiens ont été initialement réalisés en visioconférence (Teams), le 07 octobre 2021 avec Nicolas Wouters, et le 19 janvier 2022 avec Nicolas Pitz. Les enregistrements ont ensuite été retranscrits, afin que certaines parties puissent être sélectionnées et adaptées à la publication d’un entretien croisé, avec l’accord des deux auteurs. alicia lambert: Les bandes dessinées Les Jardins du Congo (Nicolas Pitz, 2013) et Elle ne parlait jamais du Congo (Nicolas Wouters, 2017) sont dédiées à l’expérience de vos grands-parents en tant qu’anciens colons dans le Congo belge des années cinquante. Qu’est-ce qui vous a amenés vers ce sujet? nicolas pitz: C’était cette envie de savoir d’où on vient, de savoir qui étaient mes parents et grands-parents. Il y avait plein de secrets de famille. Le fait que mes grands-parents et mes parents avaient vécu au Congo, c’était assez caché, presque invisibilsé. Que cela soit chez mes grands-parents ou chez mes parents, il y avait toujours des objets, mais ils étaient cachés. En étant enfants, on jouait avec, mais on ne savait pas vraiment ce que c’était. Mes cousins et moi avons simplement posé des questions. Un jour, à l’adolescence, je demande à mes grands-parents de m’expliquer ce que c’était le Congo. C’était très frustrant, je posais des questions très simples, et je me retrouvais face à un mur. Toutes leurs réponses étaient complètement contradictoires, rien n’était clair. On me disait des banalités historiques, comme si j’ouvrais un Wikipedia aujourd’hui. Moi, ce qui m’intéressait, ce n’était pas la grande histoire, mais ce qu’eux avaient été faire là-bas. Confronté à un mur de mécaniques de défense, je creusais, donc je dérangeais. Je posais les mauvaises questions, et c’est ça qu’il fallait faire. nicolas wouters: Je savais que j’allais faire une thèse de doctorat à l’Université Catholique de Louvain (UCL). J’avais fait de la BD, et j’avais étudié le cinéma à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD). Il y avait déjà cette idée, dans la thèse, de travailler sur la transmission de la mémoire et sur l’animation. Mon travail de fin d’études en BD, c’était sur mon grand-père, du côté de mon [End Page 192] père (sur son éducation chrétienne), et j’avais bien aimé travailler sur une figure familiale. Puis j’ai pensé au grand-père du côté de ma mère, qui était parti au Congo. Et je me suis vite rendu compte qu’il y avait un problème, lié au fait que les destins masculins avaient été énormément abordés dans la famille. J’avais l’impression qu’il n’y avait rien qui résistait à une espèce de biographie héroïque de mon grand-père au Congo. J’ai repensé à la relation que j’avais avec ma grand-mère, car mon grand-père est mort quand j’étais très jeune. Derrière l’impression que j’avais que mon grand-père était le centre d’intérêt, j’étais fourvoyé par cette espèce d’imaginaire patriarcal. Je trouvais cela intéressant de le questionner, de le contourner, de trouver une voie plus intersection-nelle. Il ne s’agissait pas juste d’aborder la colonisation, mais de l’aborder sous un point de vue féminin. On parle d’une mémoire traumatique, qui s’inscrit dans des réseaux de domination qui sont encore présents aujourd’hui. Quand on commence à s’intéresser à ce passé, on peut reproduire des logiques coloniales, c’est-à-dire reproduire cette domination coloniale. On se retrouve très vite à rejouer le colonialisme, sans le vouloir. Pour moi, l’intimité, c’était la porte vers une forme de légitimité. al: Pourquoi avoir choisi le médium de la BD...