{"title":"挖书或突出书:印刷的两种方法","authors":"Côme Martin","doi":"10.56078/motifs.372","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"On pourrait commencer cet article par une platitude : tout livre n’est qu’un empilement de surfaces planes qui prêtent un peu d’épaisseur au volume final. Comme l’écrit Carl Malmgren, on sait depuis Butor et Genette qu’un texte « occupe un espace matériel [...] Un texte occupe tant de place physique, contient tant de pages, qui sont à leur tour emplies de phrases, elles-mêmes composées de mots qui occupent leur place grammaticalement correcte. Le livre existe en tant qu’objet total »1. L’objet est bien tridimensionnel, mais il est composé de pages en deux dimensions, ce qui n’empêche pas les auteurs, depuis Laurence Sterne dans Tristram Shandy, de montrer au lecteur un faux relief en s’aidant de diverses techniques de mise en page et d’impression. Sterne, qui dans Tristram Shandy, après la publication des cinq premiers volumes de son récit, invite le lecteur à s’en faire un tabouret en les empilant les uns sur les autres, transforme la page en fosse très tôt avec la fameuse page noire qui est, dans l’édition d’origine, imprimée en recto-verso et émule la tombe de Yorick. Dès lors, écrit Karen Schiff, « l’encre semble pénétrer les pages comme si on avait creusé le papier. C’est une interruption illusionniste du texte : cette noire béance perce la structure continue du livre imprimé, tout comme une tombe est une dépression imprévue sur la surface de la terre »2.Tristan Garcia parle à cet égard d’un effet de surface, créé par « l’objet lui-même qui, amputé le plus possible d’une dimension, contraint ma perception »3. Cependant, même sans cet effet, la page est déjà tridimensionnelle, puisqu’il s’agit « d’une couche d’encre noire » de quelques microns saillant sur la surface blanche. Sterne, qui par bien des égards, précède avec son œuvre le roman visuel qui se développera dans la deuxième moitié du XXe siècle, sait donc déjà que les tomes de Tristram Shandy ne sont pas des réceptacles virtuels et qu’on peut manipuler l’imprimé pour rappeler au lecteur son volume. Ce sont deux approches bien plus radicales sur lesquelles nous nous pencherons ici, deux livres qui ne se contentent pas d’émuler le relief mais l’intègrent à la fois à leur forme et à leur récit. Tree of Codes de Jonathan Safran Foer4 propose sous des apparences trompeusement conventionnelles une exploration topologique en creux d’un espace textuel complexe. À l’inverse, dans S. de Doug Dorst5 le territoire fictionnel déborde de l’espace livresque et de son paratexte, et par sa tridimensionnalité envahit le monde du lecteur. À une époque où le texte se rencontre doublement sur des surfaces plates, celles de la page et de l’écran tactile, ces deux ouvrages représentent les esquifs les plus saillants qui viennent troubler cette surface faussement calme, et rappeler les profondeurs qu’elle dissimule.","PeriodicalId":133745,"journal":{"name":"Matérialité et écriture","volume":"35 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2017-12-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":"{\"title\":\"Creuser ou saillir le livre : deux approches de l’imprimé\",\"authors\":\"Côme Martin\",\"doi\":\"10.56078/motifs.372\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"On pourrait commencer cet article par une platitude : tout livre n’est qu’un empilement de surfaces planes qui prêtent un peu d’épaisseur au volume final. 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摘要
我们可以简单地开始这篇文章:每一本书都是一堆平面,为最终的卷增添了一些厚度。正如卡尔·马尔姆格伦(Carl Malmgren)所写的那样,自《Butor》和《Genette》以来,我们就知道文本“占据了物质空间……一篇文章占据了如此多的物理空间,包含了如此多的页面,而这些页面又充满了句子,而句子本身是由语法正确的单词组成的。书作为一个整体存在。这个物体确实是三维的,但它是由二维的页面组成的,这并不妨碍作者,从劳伦斯·斯特恩(Laurence Sterne)的《特利斯特拉姆·山迪》(Tristram Shandy)开始,通过各种布局和印刷技术向读者展示一个虚假的浮雕。夹心,谁在Tristram Shandy发布之后,他的前五卷的故事,请读者对此做一个凳子在石头上彼此之间,页面变成坑很早就与著名的黑人是谁,在页面的原产地,印刷版和双面马迪兰约里克之墓。因此,凯伦·希夫写道:“墨水似乎穿透了书页,就像在纸上挖了洞一样。”这是文本的一种虚幻的中断:这种黑色的凹槽穿透了印刷书籍的连续结构,就像坟墓是地球表面的一个意想不到的凹陷。在这方面,特里斯坦·加西亚谈到了“物体本身创造的表面效应,它尽可能地切断了一个维度,限制了我的感知”。。然而,即便没有这已经是三维页面,因为黑色油墨层的«»几微米的白色表面凸出。夹心,由很多方面,与之前的视觉小说作品《谁将在二十世纪下半叶,因此已经知道卷Tristram Shandy并非虚拟容器可以操纵的纹路,提醒读者,其体积。我们将在这里讨论两种更为激进的方法,这两本书不仅模仿浮雕,而且将其融入到它们的形式和叙述中。Tree of Jonathan Foer4藏红花守则建议常规不起眼的外表下凹拓扑空间的探索复杂的文本。相反,在道格·多斯特(Doug Dorst5)的《s》中,虚构的领域超越了书本空间及其附属文本,并通过其三维性入侵了读者的世界。时代课文翻见面,扁平的表面上的页面和触摸屏,这两本书是最突出的船前来打扰这个虚假的表面平静,并提醒她深处隐藏。
Creuser ou saillir le livre : deux approches de l’imprimé
On pourrait commencer cet article par une platitude : tout livre n’est qu’un empilement de surfaces planes qui prêtent un peu d’épaisseur au volume final. Comme l’écrit Carl Malmgren, on sait depuis Butor et Genette qu’un texte « occupe un espace matériel [...] Un texte occupe tant de place physique, contient tant de pages, qui sont à leur tour emplies de phrases, elles-mêmes composées de mots qui occupent leur place grammaticalement correcte. Le livre existe en tant qu’objet total »1. L’objet est bien tridimensionnel, mais il est composé de pages en deux dimensions, ce qui n’empêche pas les auteurs, depuis Laurence Sterne dans Tristram Shandy, de montrer au lecteur un faux relief en s’aidant de diverses techniques de mise en page et d’impression. Sterne, qui dans Tristram Shandy, après la publication des cinq premiers volumes de son récit, invite le lecteur à s’en faire un tabouret en les empilant les uns sur les autres, transforme la page en fosse très tôt avec la fameuse page noire qui est, dans l’édition d’origine, imprimée en recto-verso et émule la tombe de Yorick. Dès lors, écrit Karen Schiff, « l’encre semble pénétrer les pages comme si on avait creusé le papier. C’est une interruption illusionniste du texte : cette noire béance perce la structure continue du livre imprimé, tout comme une tombe est une dépression imprévue sur la surface de la terre »2.Tristan Garcia parle à cet égard d’un effet de surface, créé par « l’objet lui-même qui, amputé le plus possible d’une dimension, contraint ma perception »3. Cependant, même sans cet effet, la page est déjà tridimensionnelle, puisqu’il s’agit « d’une couche d’encre noire » de quelques microns saillant sur la surface blanche. Sterne, qui par bien des égards, précède avec son œuvre le roman visuel qui se développera dans la deuxième moitié du XXe siècle, sait donc déjà que les tomes de Tristram Shandy ne sont pas des réceptacles virtuels et qu’on peut manipuler l’imprimé pour rappeler au lecteur son volume. Ce sont deux approches bien plus radicales sur lesquelles nous nous pencherons ici, deux livres qui ne se contentent pas d’émuler le relief mais l’intègrent à la fois à leur forme et à leur récit. Tree of Codes de Jonathan Safran Foer4 propose sous des apparences trompeusement conventionnelles une exploration topologique en creux d’un espace textuel complexe. À l’inverse, dans S. de Doug Dorst5 le territoire fictionnel déborde de l’espace livresque et de son paratexte, et par sa tridimensionnalité envahit le monde du lecteur. À une époque où le texte se rencontre doublement sur des surfaces plates, celles de la page et de l’écran tactile, ces deux ouvrages représentent les esquifs les plus saillants qui viennent troubler cette surface faussement calme, et rappeler les profondeurs qu’elle dissimule.