{"title":"La vigne et le vin en Chine : Misères et succès d'une tradition allogène","authors":"É. Trombert","doi":"10.2143/JA.290.2.504300","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"La vigne est omnipresente dans les manuscrits en chinois retrouves a Tourfan, documents administratifs et prives, registres, comptes et contrats datant du V e au VIII e siecle. Il en est question dans n'importe lequel de ces textes des lors qu'il traite de questions agraires. Le vignoble etait constitue d'une multitude de petites parcelles situees principalement en zone peri-urbaine. Elles etaient exploitees par les familles paysannes, mais aussi par les temples et les monasteres. Il existait egalement quelques domaines plus etendus geres par l'Etat. La vigne etait la premiere des cultures non cerealieres, devant les cultures textiles, et la part que lui consacrait chaque exploitation familiale avoisinait sans doute les 20 %. La viticulture s'integrait parfaitement dans le cadre d'une polyculture en avance sur son temps, tres performante sur le plan cerealier et deja tres diversifiee, faisant une large place aux cultures commerciales. L'etude des contrats de vente, de pret et de fermage montre que la valeur des vignes et leur rentabilite egalaient celles des meilleures terres cerealieres. Elle montre aussi que les activites viticoles avaient engendre des pratiques nouvelles l'organisation du travail, les modes de faire-valoir et les formes de credit. Le caractere lucratif et innovant de la viticulture s'explique par la destination de la production. En effet, la majeure partie des recoltes servait a fabriquer des produits commercialisables destines a l'exportation: des raisins secs ou conserves d'une autre maniere, et surtout du vin. Quelques documents (completes par d'autres sources ecrites en ouighour) permettent de preciser la nature de ces produits vinicoles et d'en verifier la diversite et la valeur commerciale; parmi eux, on decele l'existence de vins de bonne qualite, assez alcoolises, autrement dit de vins de garde. Une comparaison avec l'oasis voisine de Dunhuang un pays de buveurs de bieres ou la vigne et le vin sont quasiment absents, reserves a l'elite locale amene a s'interroger sur la signification profonde du succes de la viticulture a Tourfan. Les documents de Tourfan dont on dispose sont trop tardifs pour renseigner sur l'introduction proprement dite de la vigne dans cette region, meme s'ils invitent a accorder un role primordial aux Sogdiens et autres Iraniens orientaux. En revanche, les textes permettent de comprendre pourquoi ce succes fut aussi etendu et aussi durable. Le fort enracilement local, et notamment rural, de ces populations iraniennes explique qu'elles soient parvenues a populariser leur gout pour le vin et le raisin dans une societe deja tres cosmopolite et ouverte; le meme phenomene avait deja ete observe en ce qui concerne certains textiles. En definitive, le succes durable de la viticulture a Tourfan temoigne de la singularite de ce territoire au plan demographique, economique et culturel. A travers ce constat, on verifie encore une fois que boire du vin plutot que de la biere ne fut jamais, a travers le monde, un choix innocent.","PeriodicalId":44189,"journal":{"name":"Journal Asiatique","volume":null,"pages":null},"PeriodicalIF":0.2000,"publicationDate":"2001-07-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"2","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Journal Asiatique","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.2143/JA.290.2.504300","RegionNum":4,"RegionCategory":"社会学","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"0","JCRName":"ASIAN STUDIES","Score":null,"Total":0}
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Abstract
La vigne est omnipresente dans les manuscrits en chinois retrouves a Tourfan, documents administratifs et prives, registres, comptes et contrats datant du V e au VIII e siecle. Il en est question dans n'importe lequel de ces textes des lors qu'il traite de questions agraires. Le vignoble etait constitue d'une multitude de petites parcelles situees principalement en zone peri-urbaine. Elles etaient exploitees par les familles paysannes, mais aussi par les temples et les monasteres. Il existait egalement quelques domaines plus etendus geres par l'Etat. La vigne etait la premiere des cultures non cerealieres, devant les cultures textiles, et la part que lui consacrait chaque exploitation familiale avoisinait sans doute les 20 %. La viticulture s'integrait parfaitement dans le cadre d'une polyculture en avance sur son temps, tres performante sur le plan cerealier et deja tres diversifiee, faisant une large place aux cultures commerciales. L'etude des contrats de vente, de pret et de fermage montre que la valeur des vignes et leur rentabilite egalaient celles des meilleures terres cerealieres. Elle montre aussi que les activites viticoles avaient engendre des pratiques nouvelles l'organisation du travail, les modes de faire-valoir et les formes de credit. Le caractere lucratif et innovant de la viticulture s'explique par la destination de la production. En effet, la majeure partie des recoltes servait a fabriquer des produits commercialisables destines a l'exportation: des raisins secs ou conserves d'une autre maniere, et surtout du vin. Quelques documents (completes par d'autres sources ecrites en ouighour) permettent de preciser la nature de ces produits vinicoles et d'en verifier la diversite et la valeur commerciale; parmi eux, on decele l'existence de vins de bonne qualite, assez alcoolises, autrement dit de vins de garde. Une comparaison avec l'oasis voisine de Dunhuang un pays de buveurs de bieres ou la vigne et le vin sont quasiment absents, reserves a l'elite locale amene a s'interroger sur la signification profonde du succes de la viticulture a Tourfan. Les documents de Tourfan dont on dispose sont trop tardifs pour renseigner sur l'introduction proprement dite de la vigne dans cette region, meme s'ils invitent a accorder un role primordial aux Sogdiens et autres Iraniens orientaux. En revanche, les textes permettent de comprendre pourquoi ce succes fut aussi etendu et aussi durable. Le fort enracilement local, et notamment rural, de ces populations iraniennes explique qu'elles soient parvenues a populariser leur gout pour le vin et le raisin dans une societe deja tres cosmopolite et ouverte; le meme phenomene avait deja ete observe en ce qui concerne certains textiles. En definitive, le succes durable de la viticulture a Tourfan temoigne de la singularite de ce territoire au plan demographique, economique et culturel. A travers ce constat, on verifie encore une fois que boire du vin plutot que de la biere ne fut jamais, a travers le monde, un choix innocent.
期刊介绍:
Le Journal Asiatique est une publication de la Société Asiatique avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique. Le Journal, publié sans interruption depuis 1822, présente le résultat de recherches dans les domaines et les disciplines des études orientales, en langue française et en langues européennes. Les textes originaux sont reproduits dans la langue orientale du domaine. Chaque numéro contient des articles originaux, le compte-rendu des séances mensuelles, la liste des membres de la Société Asiatique, et le compte-rendu des ouvrages reçus à la Société Asiatique. Le Journal Asiatique est dirigé par le Conseil scientifique de la Société Asiatique.