Augmentation de l’usage de kétamine non pharmaceutique en France et de ses risques sanitaires : que nous apprennent les données du Réseau Français d’Addictovigilance ?
Joelle Micallef , Tiphaine Raingeard , Elisabeth Jouve Jouve , Elisabeth Frauger , Nathalie Fouilhé
{"title":"Augmentation de l’usage de kétamine non pharmaceutique en France et de ses risques sanitaires : que nous apprennent les données du Réseau Français d’Addictovigilance ?","authors":"Joelle Micallef , Tiphaine Raingeard , Elisabeth Jouve Jouve , Elisabeth Frauger , Nathalie Fouilhé","doi":"10.1016/j.toxac.2025.01.081","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><h3>Objectifs</h3><div>La kétamine fait l’objet d’une surveillance de son usage et de ses complications sanitaires par le réseau Français d’Addictovigilance. Un point récemment publié soulignait le virage pris en France avec ce produit cantonné surtout aux milieux techno [Gandolfo et al., 2024;38(5):978–987].</div><div>Dans ce contexte, nous présentons une synthèse des données sur l’usage détourné de kétamine de 2020 à 2023 (P2), afin de décrire l’évolution de cette consommation et de ses caractéristiques en France notamment par rapport aux années antérieurs (2017-2020)(P1).</div><div>Les P1 et P2 sont déterminées par les périodes de surveillance des rapports nationaux d’Addictovigilance, réalisées à la demande de l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).</div></div><div><h3>Méthodes</h3><div>Une analyse de données multi-sources a été effectuée : -Analyse des cas d’addictovigilance : cas/notS (grave et non grave) des CEIP-A.</div><div>Analyse des outils spécifiques de pharmacosurveillance : OPPIDUM (observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse ; données sur les consommations de produits psychoactifs par les patients pris en charge par les structures spécialisées en addictologie), DRAMES (décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances via une collaboration avec les toxicologues analystes).</div></div><div><h3>Résultats</h3><div>(227/372), soit une multiplication d’un facteur 2 (157 sur P1). La moyenne d’âge est de 25,8<!--> <!-->ans (8,3 % de mineurs), surtout des hommes (67,5 %). La fréquence de prise de la kétamine y est régulière (39 % quotidienne, 50 % hebdomadaire). Cet usage se fait dans un contexte festif/récréatif (55 %), « auto-thérapeutique » (37,5 %) et de chemsex (7,5 %). Ces 372 observations sont caractérisées par 399 effets/troubles : 27 % des troubles psychiatriques, 21 % des troubles du SNC, 18 % des troubles de l’usage, 12 % des troubles gastro-hépatiques, 8 % des troubles urinaires.</div><div>Les 2 catégories qui ont le plus augmenté (P2 versus P1) sont les troubles urinaires (passés de 3 % à 8 %) et les troubles de l’usage (passés de 10 % à 18 %). Ces troubles urinaires sont des cystites interstitielles diagnostiquées comme telle et des symptômes évocateurs de ces cystites (dysurie, hématurie, pollakiurie…). Des thérapeutiques chirurgicales sont mentionnées pour 3 d’entre elles (hydrodistension, cystectomie). Parmi les 18 % de troubles de l’usage (<em>n</em> <!-->=<!--> <!-->72), il y en a 20 qui sont en demande de sevrage à la kétamine, 5 qui présente un craving. Deux situations sont rapportées dans ce cadre, décrivant des usagers/patients se rendant à l’hôpital (via les services d’Urgence) afin d’obtenir de la kétamine pharmaceutique. Sur les données DRAMES, il y a 8 cas où la kétamine est reconnue responsable du décès (seule ou en association) contre 3 dans le précédent rapport. Sur les données OPPIDUM, le nombre d’usagers de kétamine est passé de de 59 en 2020 (1,2 %) à 107 en 2023 (2 %). En 2023 et pour la première fois, les 107 usagers ont été pris en charge par tous les types de centres participants à OPPIDUM (CSAPA, CAARUD, équipe de liaison, unité d’hospitalisation, unité de consultation, unité en milieu carcéral). La proportion de prise quotidienne de kétamine est passé à 19,6 % en 2023 (13,6 % en 2020), La proportion de prise hebdomadaire de kétamine est de 28 % en 2023 (16,9 % en 2020). La proportion de souffrance à l’arrêt est de 35 % en 2023 (11,9 % en 2020).</div></div><div><h3>Conclusion</h3><div>Les données d’addictovigilance sont convergentes et en faveur d’une dynamique croissante et d’une ampleur sans précédent concernant les usages et les risques liés à la kétamine sur le territoire français. Les saisies de kétamine en Europe sont également les plus hauts, observés à ce jour (près de 2500 kgs).</div></div>","PeriodicalId":23170,"journal":{"name":"Toxicologie Analytique et Clinique","volume":"37 1","pages":"Page S53"},"PeriodicalIF":1.8000,"publicationDate":"2025-03-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Toxicologie Analytique et Clinique","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352007825000812","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"TOXICOLOGY","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Objectifs
La kétamine fait l’objet d’une surveillance de son usage et de ses complications sanitaires par le réseau Français d’Addictovigilance. Un point récemment publié soulignait le virage pris en France avec ce produit cantonné surtout aux milieux techno [Gandolfo et al., 2024;38(5):978–987].
Dans ce contexte, nous présentons une synthèse des données sur l’usage détourné de kétamine de 2020 à 2023 (P2), afin de décrire l’évolution de cette consommation et de ses caractéristiques en France notamment par rapport aux années antérieurs (2017-2020)(P1).
Les P1 et P2 sont déterminées par les périodes de surveillance des rapports nationaux d’Addictovigilance, réalisées à la demande de l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).
Méthodes
Une analyse de données multi-sources a été effectuée : -Analyse des cas d’addictovigilance : cas/notS (grave et non grave) des CEIP-A.
Analyse des outils spécifiques de pharmacosurveillance : OPPIDUM (observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse ; données sur les consommations de produits psychoactifs par les patients pris en charge par les structures spécialisées en addictologie), DRAMES (décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances via une collaboration avec les toxicologues analystes).
Résultats
(227/372), soit une multiplication d’un facteur 2 (157 sur P1). La moyenne d’âge est de 25,8 ans (8,3 % de mineurs), surtout des hommes (67,5 %). La fréquence de prise de la kétamine y est régulière (39 % quotidienne, 50 % hebdomadaire). Cet usage se fait dans un contexte festif/récréatif (55 %), « auto-thérapeutique » (37,5 %) et de chemsex (7,5 %). Ces 372 observations sont caractérisées par 399 effets/troubles : 27 % des troubles psychiatriques, 21 % des troubles du SNC, 18 % des troubles de l’usage, 12 % des troubles gastro-hépatiques, 8 % des troubles urinaires.
Les 2 catégories qui ont le plus augmenté (P2 versus P1) sont les troubles urinaires (passés de 3 % à 8 %) et les troubles de l’usage (passés de 10 % à 18 %). Ces troubles urinaires sont des cystites interstitielles diagnostiquées comme telle et des symptômes évocateurs de ces cystites (dysurie, hématurie, pollakiurie…). Des thérapeutiques chirurgicales sont mentionnées pour 3 d’entre elles (hydrodistension, cystectomie). Parmi les 18 % de troubles de l’usage (n = 72), il y en a 20 qui sont en demande de sevrage à la kétamine, 5 qui présente un craving. Deux situations sont rapportées dans ce cadre, décrivant des usagers/patients se rendant à l’hôpital (via les services d’Urgence) afin d’obtenir de la kétamine pharmaceutique. Sur les données DRAMES, il y a 8 cas où la kétamine est reconnue responsable du décès (seule ou en association) contre 3 dans le précédent rapport. Sur les données OPPIDUM, le nombre d’usagers de kétamine est passé de de 59 en 2020 (1,2 %) à 107 en 2023 (2 %). En 2023 et pour la première fois, les 107 usagers ont été pris en charge par tous les types de centres participants à OPPIDUM (CSAPA, CAARUD, équipe de liaison, unité d’hospitalisation, unité de consultation, unité en milieu carcéral). La proportion de prise quotidienne de kétamine est passé à 19,6 % en 2023 (13,6 % en 2020), La proportion de prise hebdomadaire de kétamine est de 28 % en 2023 (16,9 % en 2020). La proportion de souffrance à l’arrêt est de 35 % en 2023 (11,9 % en 2020).
Conclusion
Les données d’addictovigilance sont convergentes et en faveur d’une dynamique croissante et d’une ampleur sans précédent concernant les usages et les risques liés à la kétamine sur le territoire français. Les saisies de kétamine en Europe sont également les plus hauts, observés à ce jour (près de 2500 kgs).