Le rôle et la place des pratiques de soin non biomédicales à Mayotte

M. Heslon
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Abstract

Introduction

À Mayotte, le recours à des pratiques de soin autres que celles proposées par les institutions biomédicales sont fréquentes pour des personnes malades, voire affligées. Toutefois, le plus souvent ces pratiques se cumulent à la consultation de médecins. Il s'agit ici d’éviter le terme « pratiques traditionnelles », préférant « pratiques de soin non biomédicales » pour insister sur leur contemporanéité et éviter les oppositions entre moderne et archaïque que peut suggérer le mot « traditionnel ».

Méthodologie

Cette approche anthropologique met l'accent sur le dépassement de l'ethnocentrisme et sur la prise au sérieux des pratiques locales, notamment à travers l'observation participante. L'étude repose sur un terrain de 19 mois, échelonné entre 2016 et 2021, où j'ai vécu chez l'habitant, et suivi les parcours de soin de jeunes affligés avec leur entourage et auprès de divers praticiens (islamiques, de possession, du domaine médico-social).

Résultats

Les pratiques non biomédicales à Mayotte incluent une variété de techniques. L'une des plus répandues est l'usage des plantes (phytothérapie), employées pour des symptômes divers. Mais les plantes sont aussi souvent utilisées pour des fumigations ou ablutions (malalao). Par ailleurs, la pratique de soin la plus fréquente est la réalisation de prières pour protéger l'affligé. Cette pratique inclut les cinq prières quotidiennes et des prières protectrices collectives comme la shidjabu et la badri. En outre, des objets protecteurs, les hirizi, sont créés en utilisant des versets coraniques, et peuvent être portés ou placés dans des habitations pour protéger contre des intentions malveillantes. Les rituels de possession sont aussi pratiqués. Ces rituels peuvent être exorcistes, pour chasser un esprit, ou adorcistes, visant à établir une relation durable avec l'esprit afin d'en tirer une protection en échange d'offrandes et de rituels.
Ces pratiques trouvent leur pertinence dans les étiologies locales, où les causes du malheur sont attribuées à des forces invisibles comme Dieu, les esprits ou la sorcellerie. La présence de virus et de bactéries est également connue (étiologie biomédicale), mais si une affliction persiste ou devient récurrente, les causes sont souvent réinterprétées en termes d’étiologies islamique, sorcellaire, ou des esprits. Les pratiques de soin non biomédicales fonctionnent en grande partie par la médiation relationnelle, c'est-à-dire en restaurant ou en apaisant les relations sociales. Ce processus de soin va au-delà du soin des symptômes physiques, en mettant l'accent sur la dimension sociale et relationnelle de la souffrance.

Conclusion

Si les pratiques islamiques et le recours aux plantes sont largement répandus sur tout le territoire, le cas des rituels dédiés aux esprits est plus complexe. Sur cette île à majorité musulmane, l'existence des esprits n'est pas contestée (les djinns sont présents dans le Coran), mais la respectabilité des rituels qui leur sont associés peut être remise en question. Enfin, les pratiques biomédicales sont couramment utilisées, mais divers obstacles (précarité, irrégularité administrative, méfiance envers les institutions de l'État ou crainte d'aggravation si l'affliction n'est pas perçue comme un problème médical) peuvent freiner leur adoption.
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