{"title":"Trou anionique, trou osmolaire et dosages toxicologiques : intérêts et limites pour la prise en charge d’une intoxication par alcool toxique","authors":"B. Mégarbane","doi":"10.1016/j.toxac.2024.08.016","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><h3>Objectif</h3><p>Les intoxications par éthylène glycol et méthanol sont rares mais potentiellement graves. Après un intervalle libre post-exposition correspondant à la métabolisation hépatique de l’alcool en acide carboxylique, l’intoxication entraîne une acidose métabolique et des lésions d’organe (insuffisance rénale aiguë pour l’éthylène glycol et troubles visuels pouvant aboutir à une cécité irréversible pour le méthanol). Le diagnostic doit donc être établi au plus vite afin d’administrer un inhibiteur compétitif de l’alcool déshydrogénase pour freiner le métabolisme du toxique (éthanol ou fomépizole) et de poser l’indication d’une épuration extrarénale, si besoin, pour espérer une survie sans séquelles. L’objectif de cette présentation est de discuter la place relative des examens sanguins dans l’approche diagnostique et le monitoring thérapeutique des intoxications par alcool toxique.</p></div><div><h3>Méthodes</h3><p>Revue narrative de la littérature scientifique, en insistant sur les mécanismes de toxicité et les intérêts/limites des différents tests sanguins disponibles.</p></div><div><h3>Résultats</h3><p>En présence d’une anamnèse et d’un tableau clinique, compatibles, l’hypothèse d’une intoxication par alcool toxique doit être évoquée devant toute acidose métabolique à trou anionique élevé (([Na<sup>+</sup>]<!--> <!-->+<!--> <!-->[K<sup>+</sup>]) – ([HCO<sub>3</sub><sup>−</sup>]<!--> <!-->+<!--> <!-->[Cl<sup>−</sup>], N : 12–16 mEq/L) non expliqué par le lactate ou les cétones. 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Le diagnostic positif est apporté par le dosage spécifique de l’alcool toxique dans le plasma et/ou les urines en chromatographie en phase gazeuse (CPG) ou liquide de haute performance(HPLC) ou par une méthode enzymatique. Une concentration d’éthylène glycol<!--> <!-->≥<!--> <!-->0,5<!--> <!-->g/L et une concentration de méthanol<!--> <!-->≥<!--> <!-->0,2<!--> <!-->g/L indiquent une intoxication potentiellement sévère. Cependant, ce n’est pas la concentration sanguine mais le degré d’acidose métabolique et la concentration plasmatique des métabolites toxiques qui sont corrélés à l’atteinte rénale ou visuelle et à la mortalité. Les dosages des métabolites (glycolaldéhyde, glycolate et glyoxylate pour l’éthylène glycol, et formaldéhyde et formate pour le méthanol), sont d’intérêt mais pas de pratique courante, même si des bandelettes de mesure semi-quantitative du formate au lit du patient sont désormais disponibles et d’intérêt dans les régions à risque d’épidémie d’intoxications par méthanol suite à la diffusion communautaire d’un alcool artisanal frelaté. La recherche de cristaux biréfringents d’oxalate de calcium dans les urines oriente vers une intoxication à l’éthylène glycol vue tardivement. La cristallurie, en général, massive, n’est présente que dans 50 % des cas. Les cristaux sont visibles en microscopie optique, sous forme d’enveloppes ou d’aiguilles, et correspondent à des structures monohydratées (whewellite), voire dihydratées (weddelite), d’oxalate de calcium, même s’ils ressemblent aux cristaux d’acide hippurique. Les tests sanguins ci-dessus, si disponibles en routine, sont alors d’intérêt pour monitorer la réponse au traitement antidotique, l’élimination des toxiques en cas d’épuration extrarénale et l’affirmation de la guérison du phénomène toxique. Toutefois, en leur absence, il est possible de se baser sur les examens de routine (gaz du sang, ionogramme sanguin et fonction rénale) avec un raisonnement probabiliste.</p></div><div><h3>Conclusion</h3><p>Le calcul du trou anionique et du trou osmolaire ainsi que les dosages toxicologiques sont d’un apport majeur voire indispensable pour optimiser le diagnostic et la prise en charge des intoxications par alcools toxiques. 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Abstract
Objectif
Les intoxications par éthylène glycol et méthanol sont rares mais potentiellement graves. Après un intervalle libre post-exposition correspondant à la métabolisation hépatique de l’alcool en acide carboxylique, l’intoxication entraîne une acidose métabolique et des lésions d’organe (insuffisance rénale aiguë pour l’éthylène glycol et troubles visuels pouvant aboutir à une cécité irréversible pour le méthanol). Le diagnostic doit donc être établi au plus vite afin d’administrer un inhibiteur compétitif de l’alcool déshydrogénase pour freiner le métabolisme du toxique (éthanol ou fomépizole) et de poser l’indication d’une épuration extrarénale, si besoin, pour espérer une survie sans séquelles. L’objectif de cette présentation est de discuter la place relative des examens sanguins dans l’approche diagnostique et le monitoring thérapeutique des intoxications par alcool toxique.
Méthodes
Revue narrative de la littérature scientifique, en insistant sur les mécanismes de toxicité et les intérêts/limites des différents tests sanguins disponibles.
Résultats
En présence d’une anamnèse et d’un tableau clinique, compatibles, l’hypothèse d’une intoxication par alcool toxique doit être évoquée devant toute acidose métabolique à trou anionique élevé (([Na+] + [K+]) – ([HCO3−] + [Cl−], N : 12–16 mEq/L) non expliqué par le lactate ou les cétones. Le trou osmolaire (différence entre osmolarité mesurée par méthode du delta cryoscopique et osmolarité calculée (1,86 ([Na+] + [urémie] + [glycémie])/0,93, en mmol/L, N : 10-15 mosmol/kg) témoigne de la présence d’osmoles de faible poids moléculaire et en forte concentration. Un trou osmolaire ≥ 25 mosmol/kg chez un patient en acidose métabolique avec trou anionique augmenté ≥ 17 mEq/L est évocateur d’une intoxication par alcool toxique, sans pour autant en être spécifique. Le trou osmolaire est le plus souvent nul à la phase tardive de l’intoxication, alors même que l’acidose métabolique y est la plus profonde. À l’inverse, l’absence de trou anionique ou de trou osmolaire ne doit pas laisser sous-estimer la gravité potentielle d’une intoxication vue précocement. Le diagnostic positif est apporté par le dosage spécifique de l’alcool toxique dans le plasma et/ou les urines en chromatographie en phase gazeuse (CPG) ou liquide de haute performance(HPLC) ou par une méthode enzymatique. Une concentration d’éthylène glycol ≥ 0,5 g/L et une concentration de méthanol ≥ 0,2 g/L indiquent une intoxication potentiellement sévère. Cependant, ce n’est pas la concentration sanguine mais le degré d’acidose métabolique et la concentration plasmatique des métabolites toxiques qui sont corrélés à l’atteinte rénale ou visuelle et à la mortalité. Les dosages des métabolites (glycolaldéhyde, glycolate et glyoxylate pour l’éthylène glycol, et formaldéhyde et formate pour le méthanol), sont d’intérêt mais pas de pratique courante, même si des bandelettes de mesure semi-quantitative du formate au lit du patient sont désormais disponibles et d’intérêt dans les régions à risque d’épidémie d’intoxications par méthanol suite à la diffusion communautaire d’un alcool artisanal frelaté. La recherche de cristaux biréfringents d’oxalate de calcium dans les urines oriente vers une intoxication à l’éthylène glycol vue tardivement. La cristallurie, en général, massive, n’est présente que dans 50 % des cas. Les cristaux sont visibles en microscopie optique, sous forme d’enveloppes ou d’aiguilles, et correspondent à des structures monohydratées (whewellite), voire dihydratées (weddelite), d’oxalate de calcium, même s’ils ressemblent aux cristaux d’acide hippurique. Les tests sanguins ci-dessus, si disponibles en routine, sont alors d’intérêt pour monitorer la réponse au traitement antidotique, l’élimination des toxiques en cas d’épuration extrarénale et l’affirmation de la guérison du phénomène toxique. Toutefois, en leur absence, il est possible de se baser sur les examens de routine (gaz du sang, ionogramme sanguin et fonction rénale) avec un raisonnement probabiliste.
Conclusion
Le calcul du trou anionique et du trou osmolaire ainsi que les dosages toxicologiques sont d’un apport majeur voire indispensable pour optimiser le diagnostic et la prise en charge des intoxications par alcools toxiques. En leur absence, un raisonnement probabiliste est possible pour indiquer l’administration d’un antidote ou la réalisation d’une épuration extrarénale.