{"title":"Écopoétiques africaines. Une expérience décoloniale des lieux by Xavier Garnier (review)","authors":"Emmanuelle Eymard Traoré","doi":"10.1353/nef.2023.a905936","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Reviewed by: Écopoétiques africaines. Une expérience décoloniale des lieux by Xavier Garnier Emmanuelle Eymard Traoré Garnier, Xavier. Écopoétiques africaines. Une expérience décoloniale des lieux. Paris, Karthala, 2022. ISBN 9782811129941. 264 p. Dans un contexte d’aggravation des crises écologiques qui affectent en particulier les pays des Suds, de nombreuses études philosophiques, sociologiques et littéraires (Blanc, 2008; Collot, 2014; David, 2013; Ferdinand, 2019; Latour, 2017; Collectif ZoneZadir, 2021; Schoentjes, 2015) développent des réflexions depuis la localité et dans le sillage de la sociocritique (Westphal, 2007), proposant de nouvelles perspectives intellectuelles. Dans le domaine de la littérature plus spécifiquement, l’écopoétique renvoie pour sa part au fait “de prêter particulièrement attention aux constructions discursives, énonciatives et narratives des questions environnementales en contexte littéraire” (Defraeye et Lepage 9). Professeur de littérature comparée, Xavier Garnier s’intéresse depuis quelques années à ce domaine, comme l’attestent notamment ses nombreux articles, le dynamisme du collectif universitaire ZoneZadir3 auquel il appartient, ou encore l’ouvrage dont il est ici question. De fait, Écopoétiques africaines se présente comme une somme théorique autant que comme une nouvelle proposition critique à laquelle l’auteur nous enjoint à réfléchir en analysant de nombreux textes africains essentiellement narratifs et poétiques, de Léopold Sédar Senghor à In Koli Jean Bofane. Appréhendées depuis les lieux que les textes campent, les œuvres littéraires s’entendent comme des espaces de résistance qui permettent “de ramener les Modernes sur terre, de les détacher de leur acosmisme, pour les mettre au contact des écosystèmes” (13). En posant un regard chronologique sur un vaste corpus africain, l’universitaire parisien fait état de trois moments qui constituent les trois parties de l’ouvrage. Dans une première partie, Garnier analyse des textes littéraires issus de l’époque coloniale ou juste postérieure, à la “morsure des lieux, cette insurrection écopoétique des lieux sous le glacis impérial” (23), tandis que s’affrontent textes coloniaux, qui figent et folklorisent les lieux, et textes locaux qui entendent les revitaliser. La démonstration concernant l’œuvre de Senghor, notamment Chant d’ombre (1945), [End Page 213] propose une approche renouvelée de la production du chantre de la négritude en l’appréhendant comme “une poésie spirituelle et incarnée” (46), qui tire sa force, son énergie, de ce qui l’entoure, de la nature: “Le lyrisme senghorien est tactile, c’est un flux qui enveloppe la réalité pour en extraire, par friction, de précieuses pail-lettes/Le lyrisme senghorien est donc d’abord un vertige” (46). Ces “paillettes” peuvent être réinvesties au présent et régénérer l’avenir, tandis que l’on touche du doigt ce que le lyrisme de Senghor transmet. Or, selon le chercheur, le toucher est le sens caractéristique des écrits de la période. Cela suppose que le texte soit solidement arrimé aux espaces—à ceux de l’enfance pour ce qui concerne le poète sénégalais, à ceux de l’initiation pour Hampâté Bâ avec Kaïdara (1943), par exemple. Ensuite, quand viennent les Indépendances, il s’agit de “rapporter le roman ethnographique à des situations géographiques concrètes afin de rétablir les connexions territoriales” (79), autrement dit de créer du territoire, de bâtir la nation. C’est l’écriture de l’intime, des cérémonies, des habitudes, qui régénère le quotidien. Les ensembles urbains trouvent une place au sein des espaces moins peuplés; la ville se connecte aux villages et à la brousse. Les motifs de la route ou du chemin de fer, très présents dans des textes tels Les Bouts de bois de Dieu (1960) de Sembène Ousmane ou Le Pays sans ombre (1994) d’Abdourahman Waberi, ont également à voir, selon le chercheur, avec la volonté de relier les espaces, d’extraire de l’enfermement les villages que l’impérialisme a réifiés, de donner une existence locale aux villes, de bâtir du commun, qu’il soit dystopique (on...","PeriodicalId":19369,"journal":{"name":"Nouvelles Études Francophones","volume":"20 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2023-01-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Nouvelles Études Francophones","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.1353/nef.2023.a905936","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Reviewed by: Écopoétiques africaines. Une expérience décoloniale des lieux by Xavier Garnier Emmanuelle Eymard Traoré Garnier, Xavier. Écopoétiques africaines. Une expérience décoloniale des lieux. Paris, Karthala, 2022. ISBN 9782811129941. 264 p. Dans un contexte d’aggravation des crises écologiques qui affectent en particulier les pays des Suds, de nombreuses études philosophiques, sociologiques et littéraires (Blanc, 2008; Collot, 2014; David, 2013; Ferdinand, 2019; Latour, 2017; Collectif ZoneZadir, 2021; Schoentjes, 2015) développent des réflexions depuis la localité et dans le sillage de la sociocritique (Westphal, 2007), proposant de nouvelles perspectives intellectuelles. Dans le domaine de la littérature plus spécifiquement, l’écopoétique renvoie pour sa part au fait “de prêter particulièrement attention aux constructions discursives, énonciatives et narratives des questions environnementales en contexte littéraire” (Defraeye et Lepage 9). Professeur de littérature comparée, Xavier Garnier s’intéresse depuis quelques années à ce domaine, comme l’attestent notamment ses nombreux articles, le dynamisme du collectif universitaire ZoneZadir3 auquel il appartient, ou encore l’ouvrage dont il est ici question. De fait, Écopoétiques africaines se présente comme une somme théorique autant que comme une nouvelle proposition critique à laquelle l’auteur nous enjoint à réfléchir en analysant de nombreux textes africains essentiellement narratifs et poétiques, de Léopold Sédar Senghor à In Koli Jean Bofane. Appréhendées depuis les lieux que les textes campent, les œuvres littéraires s’entendent comme des espaces de résistance qui permettent “de ramener les Modernes sur terre, de les détacher de leur acosmisme, pour les mettre au contact des écosystèmes” (13). En posant un regard chronologique sur un vaste corpus africain, l’universitaire parisien fait état de trois moments qui constituent les trois parties de l’ouvrage. Dans une première partie, Garnier analyse des textes littéraires issus de l’époque coloniale ou juste postérieure, à la “morsure des lieux, cette insurrection écopoétique des lieux sous le glacis impérial” (23), tandis que s’affrontent textes coloniaux, qui figent et folklorisent les lieux, et textes locaux qui entendent les revitaliser. La démonstration concernant l’œuvre de Senghor, notamment Chant d’ombre (1945), [End Page 213] propose une approche renouvelée de la production du chantre de la négritude en l’appréhendant comme “une poésie spirituelle et incarnée” (46), qui tire sa force, son énergie, de ce qui l’entoure, de la nature: “Le lyrisme senghorien est tactile, c’est un flux qui enveloppe la réalité pour en extraire, par friction, de précieuses pail-lettes/Le lyrisme senghorien est donc d’abord un vertige” (46). Ces “paillettes” peuvent être réinvesties au présent et régénérer l’avenir, tandis que l’on touche du doigt ce que le lyrisme de Senghor transmet. Or, selon le chercheur, le toucher est le sens caractéristique des écrits de la période. Cela suppose que le texte soit solidement arrimé aux espaces—à ceux de l’enfance pour ce qui concerne le poète sénégalais, à ceux de l’initiation pour Hampâté Bâ avec Kaïdara (1943), par exemple. Ensuite, quand viennent les Indépendances, il s’agit de “rapporter le roman ethnographique à des situations géographiques concrètes afin de rétablir les connexions territoriales” (79), autrement dit de créer du territoire, de bâtir la nation. C’est l’écriture de l’intime, des cérémonies, des habitudes, qui régénère le quotidien. Les ensembles urbains trouvent une place au sein des espaces moins peuplés; la ville se connecte aux villages et à la brousse. Les motifs de la route ou du chemin de fer, très présents dans des textes tels Les Bouts de bois de Dieu (1960) de Sembène Ousmane ou Le Pays sans ombre (1994) d’Abdourahman Waberi, ont également à voir, selon le chercheur, avec la volonté de relier les espaces, d’extraire de l’enfermement les villages que l’impérialisme a réifiés, de donner une existence locale aux villes, de bâtir du commun, qu’il soit dystopique (on...