{"title":"Geometry and Jean Genet: Shaping the Subject by Joanne Brueton (review)","authors":"Chloé Vettier","doi":"10.1353/nef.2023.a905941","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Reviewed by: Geometry and Jean Genet: Shaping the Subject by Joanne Brueton Chloé Vettier Brueton, Joanne. Geometry and Jean Genet: Shaping the Subject. Cambridge (UK), Modern Humanities Research Association, 2022. ISBN 9781781884522. 181 p. Avec Geometry and Jean Genet: Shaping the Subject (2022), Joanne Brueton s’inscrit dans un courant de la critique littéraire inspiré de la “French Theory.” Celleci constitue d’ailleurs un thème capital de l’ouvrage, à tel point que, comme le suggère le titre, Jean Genet s’en trouve parfois relégué à une place secondaire. De fait, Brueton travaille avec une égale énergie à souligner l’importance qu’occupent [End Page 231] les formes géométriques dans les écrits de Genet ainsi que dans ceux de Roland Barthes, Hélène Cixous, Jacques Derrida, Gilles Deleuze et Félix Guattari, Michel Foucault, ou encore Jean-Luc Nancy. En lisant ces textes côte à côte, elle rend compte de l’objet impossible que constitue la subjectivité selon Genet, celle-ci ne se laissant jamais appréhender par des unités métriques ou des normes établies. Plus précisément, les formes géométriques qui constellent l’œuvre de Genet dessinent un sujet solitaire et irréductible (avec le point), à la fois affilié et fuyant (avec la ligne), échappant à toute orientation prédéterminée (avec la diagonale), et qui demeure libre malgré les tentatives d’enfermement (avec la grille et le cercle). Faisant chacune l’objet d’un chapitre, ces figures reflètent paradoxalement l’instabilité et l’incertitude caractéristiques du sujet selon Genet. Le premier chapitre est consacré au point, soit “là où la géométrie commence” selon Brueton (13).11 Défini par Euclide comme “ce qui n’a pas de parties” (13),12 le point représente chez Genet l’isolement et l’inaccessibilité du sujet. Le person-nage appelé “Lou-du-Point-du-Jour,” que le narrateur de Miracle de la Rose dépeint comme “le plus isolé de nous par son nom” (Genet, Miracle 238) incarne, à titre d’exemple, cette singularité irréductible qui caractérise le point géométrique. Dans son fonctionnement, le point genétien offre une version textuelle du punctum de Barthes, en ce qu’il constitue “ce hasard qui [. . .] me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)” (Barthes 809). Mais si la radicale subjectivité des personnages genétiens suscite chez la lectrice un rapprochement affectif, elle est aussi ce qui la tient à distance. Chez Genet, ce qui poigne est tout autant insaisissable, le point genétien opérant de façon ambiguë: il pique notre intérêt en même temps qu’il le blesse. Pour Genet, la rencontre avec l’autre constitue d’ailleurs une blessure pour le moi. Telles les stigmata de Cixous, le point genétien perfore le langage tout en rendant la blessure lisible, de telle sorte qu’avec Genet, “on entre en littérature par lésion” (Cixous s.p.). Car la blessure permet de s’identifier aux personnages, d’atteindre, comme le dit Genet dans L’Atelier d’Alberto Giacometti, “ce point précieux où l’être humain serait ramené à ce qu’il a de plus irréductible: sa solitude d’être exactement équivalent à tout autre” (51). Pour autant, la figure du point nous rappelle que l’identification et la communication avec l’autre sont limitées. Ainsi, il est impossible de briser la retraite solitaire depuis laquelle les personnages cherchent à se dire. La subjectivité chez Genet fonctionne comme un point aveugle—un punctum caecum, pour reprendre les termes de Derrida dans Mémoires d’aveugle (57)—puisque le recul qu’il est nécessaire de prendre pour se dire rend paradoxalement toute forme de parole impossible. D’autres manifestations du point renforcent l’impression que le silence et la solitude des personnages sont irrémédiables. Ces mêmes personnages, tel le narrateur de Notre-Dame-des-Fleurs qui vole sur la pointe des pieds, sont en effet réduits [End Page 232] à la furtivité et au silence. Pas de danse à l’origine d’un véritable ballet, la pointe est aussi l’expression de l’ineffable, de l’impossibilité de se...","PeriodicalId":19369,"journal":{"name":"Nouvelles Études Francophones","volume":"75 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2023-01-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Nouvelles Études Francophones","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.1353/nef.2023.a905941","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Reviewed by: Geometry and Jean Genet: Shaping the Subject by Joanne Brueton Chloé Vettier Brueton, Joanne. Geometry and Jean Genet: Shaping the Subject. Cambridge (UK), Modern Humanities Research Association, 2022. ISBN 9781781884522. 181 p. Avec Geometry and Jean Genet: Shaping the Subject (2022), Joanne Brueton s’inscrit dans un courant de la critique littéraire inspiré de la “French Theory.” Celleci constitue d’ailleurs un thème capital de l’ouvrage, à tel point que, comme le suggère le titre, Jean Genet s’en trouve parfois relégué à une place secondaire. De fait, Brueton travaille avec une égale énergie à souligner l’importance qu’occupent [End Page 231] les formes géométriques dans les écrits de Genet ainsi que dans ceux de Roland Barthes, Hélène Cixous, Jacques Derrida, Gilles Deleuze et Félix Guattari, Michel Foucault, ou encore Jean-Luc Nancy. En lisant ces textes côte à côte, elle rend compte de l’objet impossible que constitue la subjectivité selon Genet, celle-ci ne se laissant jamais appréhender par des unités métriques ou des normes établies. Plus précisément, les formes géométriques qui constellent l’œuvre de Genet dessinent un sujet solitaire et irréductible (avec le point), à la fois affilié et fuyant (avec la ligne), échappant à toute orientation prédéterminée (avec la diagonale), et qui demeure libre malgré les tentatives d’enfermement (avec la grille et le cercle). Faisant chacune l’objet d’un chapitre, ces figures reflètent paradoxalement l’instabilité et l’incertitude caractéristiques du sujet selon Genet. Le premier chapitre est consacré au point, soit “là où la géométrie commence” selon Brueton (13).11 Défini par Euclide comme “ce qui n’a pas de parties” (13),12 le point représente chez Genet l’isolement et l’inaccessibilité du sujet. Le person-nage appelé “Lou-du-Point-du-Jour,” que le narrateur de Miracle de la Rose dépeint comme “le plus isolé de nous par son nom” (Genet, Miracle 238) incarne, à titre d’exemple, cette singularité irréductible qui caractérise le point géométrique. Dans son fonctionnement, le point genétien offre une version textuelle du punctum de Barthes, en ce qu’il constitue “ce hasard qui [. . .] me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)” (Barthes 809). Mais si la radicale subjectivité des personnages genétiens suscite chez la lectrice un rapprochement affectif, elle est aussi ce qui la tient à distance. Chez Genet, ce qui poigne est tout autant insaisissable, le point genétien opérant de façon ambiguë: il pique notre intérêt en même temps qu’il le blesse. Pour Genet, la rencontre avec l’autre constitue d’ailleurs une blessure pour le moi. Telles les stigmata de Cixous, le point genétien perfore le langage tout en rendant la blessure lisible, de telle sorte qu’avec Genet, “on entre en littérature par lésion” (Cixous s.p.). Car la blessure permet de s’identifier aux personnages, d’atteindre, comme le dit Genet dans L’Atelier d’Alberto Giacometti, “ce point précieux où l’être humain serait ramené à ce qu’il a de plus irréductible: sa solitude d’être exactement équivalent à tout autre” (51). Pour autant, la figure du point nous rappelle que l’identification et la communication avec l’autre sont limitées. Ainsi, il est impossible de briser la retraite solitaire depuis laquelle les personnages cherchent à se dire. La subjectivité chez Genet fonctionne comme un point aveugle—un punctum caecum, pour reprendre les termes de Derrida dans Mémoires d’aveugle (57)—puisque le recul qu’il est nécessaire de prendre pour se dire rend paradoxalement toute forme de parole impossible. D’autres manifestations du point renforcent l’impression que le silence et la solitude des personnages sont irrémédiables. Ces mêmes personnages, tel le narrateur de Notre-Dame-des-Fleurs qui vole sur la pointe des pieds, sont en effet réduits [End Page 232] à la furtivité et au silence. Pas de danse à l’origine d’un véritable ballet, la pointe est aussi l’expression de l’ineffable, de l’impossibilité de se...