{"title":"In Memoriam: Dr. Jacques Derron – agronome et entomologiste (1945–2022)","authors":"S. Breitenmoser","doi":"10.3897/alpento.6.98192","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"C’est un vendredi, le 29 juillet 2022, que Jacques nous a quitté subitement dans sa 77ème année.\n Jacques Derron, né le 16 septembre 1945 au Vully, a effectué la majorité de sa carrière à Agroscope, sur le site de Changins, dans le service d’entomologie dont il prit la tête jusqu’à sa retraite en 2008.\n Issu d’une famille d’agriculteurs, Jacques grandit dans le Vully au bord du Lac de Morat où tout petit il s’émerveille déjà devant les batraciens et autres insectes qu’il observe dans sa région. Il accomplit sa scolarité au Vully, à Fribourg et à Neuchâtel où il obtient la maturité scientifique.\n Il choisit ensuite d’étudier l’agronomie à l’EPFZ où il est très vite attiré par l’entomologie et séduit par la production intégrée. C’est ainsi qu’il consacre son travail de diplôme à la lutte biologique contre la Mouche de la cerise. Il part ensuite, avec son épouse Monique, également ingénieur agronome, pour l’île de São Tomé (Golfe de Guinée). Pendant trois ans, il y effectue des recherches sur l‘entomofaune dans les plantations de cacao et y découvre, entre autres, de nouvelles espèces dont toute une série de coccinelles, parmi lesquelles Nephus derroni et Thea moniqueae. Ces recherches aboutissent à sa thèse de doctorat défendue en 1977: «Approche écologique de l’entomofaune des cacaoyères de São Tomé», sous la direction du Prof. Dr. V. Delucchi, Institut d’Entomologie EPFZ.\n La même année, Jacques intègre le Service phytosanitaire du canton de Genève où il se consacre notamment à la jaunisse nanisante de l’orge et ses vecteurs, à savoir les pucerons. A cette époque, il s’intéresse déjà beaucoup à la thématique des seuils d’intervention contre les ravageurs des cultures. Ceci afin de pouvoir offrir aux agriculteurs un outil décisionnel permettant de savoir si une intervention phytosanitaire dans les cultures est justifiable et rentable.\n Après cette période genevoise, Jacques postule à Agroscope, appelé encore Station fédérale de recherches agronomiques de Changins. Il y est engagé en janvier 1980 dans le Service d’entomologie. Il travaille alors sur de nombreux thèmes, notamment les questions épidémiologiques liées aux vecteurs de virus dans les pommes de terre et les céréales, la recherche de solution aux dégâts d’insectes du colza et les premiers cas de résistances aux insecticides, l’élaboration de seuils d’intervention et la participation active à la lutte biologique à l’aide des Trichogrammes contre la pyrale du maïs. Cette dernière, s’avère plus que jamais d’actualité avec la recherche d’alternatives durables dans la gestion des bioagresseurs des plantes. De ces travaux découlent de nombreux échanges avec des collègues au niveau national, notamment avec les interlocuteurs cantonaux, l’interprofession, les firmes, les agriculteurs, tout comme à l’international avec notamment le projet Euraphid. Pendant plusieurs années il donne, avec des collègues de divers domaines comme la phytopathologie, des cours sur la production intégrée aux étudiants d’agronomie à l’EPFZ. Il est un des membres fondateurs de la Société suisse de Phytiatrie qui se charge de l’étude des facteurs contribuant à la conservation et à l‘amélioration de la santé des plantes.\n Parallèlement à cette thématique «d’insectes ravageurs des cultures», Jacques avait bien compris que pour trouver des solutions phytosanitaires, il fallait comprendre le système dans son ensemble, c’est-à-dire l’étude synécologique dans l’espace agroenvironnemental. Il a donc étudié les échanges entre espèces, notamment les relations entre auxiliaires et ravageurs, ainsi que la biodiversité dans la zone agricole. Il prit part aux projets de mise en place et d’évaluation des premières surfaces de promotion de la biodiversité (appelée jadis surfaces de compensation écologique) avec ses collègues de Reckenholz et de nombreux partenaires dont l’OFAG, Agridea (SRVA), le Fibl, le WSL, la Station ornithologique suisse, les Universités de Bâle et Berne. Cela l’a conduit à étudier la faune carabique des surfaces cultivées ainsi que des milieux semi-naturels. Il participa d’ailleurs au récent travail de terrain pour la réactualisation de la Liste rouge des carabes sous l’égide d’Info Fauna/CSCF. Arrivé à la retraite, il se passionne pour les champignons, encore un monde … sans fin, qu’il va étudier sans relâche. Mais comme tous les chemins mènent à l’entomologie, Jacques faisait de belles découvertes de coléoptères mycétophages ou fongicoles trouvés dans des champignons qu’il me faisait partager. Pour l’anecdote, je me souviens, il y a peu, qu’il m’avait envoyé le plus petit coléoptère existant en Europe, à savoir Baranowskiella ehnstromi, trouvé dans un champignon lignicole sur saule.\n Jacques a publié de nombreux articles scientifiques sur la thématique de la protection des plantes et de l’entomologie. Il a aussi formé de nombreux apprentis laborantins et suivis des travaux de diplômes et thèses de doctorat. Il était membre de la Société suisse de Phytiatrie, de la Société suisse d’entomologie, des Sociétés de mycologie de Fribourg et de La Côte. Au moment de son décès, il était impliqué dans le projet «Inventaire des Champignons de la Grande Cariçaie».\n Jacques était un grand scientifique, toujours intéressé à comprendre le monde qui nous entoure. Il était également un amoureux des voyages, tout particulièrement des îles volcaniques (en souvenir de São Tomé), qu’il visitait avec son épouse et leurs deux filles. Il appréciait aussi grandement la lecture, notamment les traités historiques et géopolitiques, ainsi que la musique classique. Pour moi, Jacques était avant tout un homme généreux avec qui il faisait bon discuter et partager de bons moments d’amitié. 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In Memoriam: Dr. Jacques Derron – agronome et entomologiste (1945–2022)
C’est un vendredi, le 29 juillet 2022, que Jacques nous a quitté subitement dans sa 77ème année.
Jacques Derron, né le 16 septembre 1945 au Vully, a effectué la majorité de sa carrière à Agroscope, sur le site de Changins, dans le service d’entomologie dont il prit la tête jusqu’à sa retraite en 2008.
Issu d’une famille d’agriculteurs, Jacques grandit dans le Vully au bord du Lac de Morat où tout petit il s’émerveille déjà devant les batraciens et autres insectes qu’il observe dans sa région. Il accomplit sa scolarité au Vully, à Fribourg et à Neuchâtel où il obtient la maturité scientifique.
Il choisit ensuite d’étudier l’agronomie à l’EPFZ où il est très vite attiré par l’entomologie et séduit par la production intégrée. C’est ainsi qu’il consacre son travail de diplôme à la lutte biologique contre la Mouche de la cerise. Il part ensuite, avec son épouse Monique, également ingénieur agronome, pour l’île de São Tomé (Golfe de Guinée). Pendant trois ans, il y effectue des recherches sur l‘entomofaune dans les plantations de cacao et y découvre, entre autres, de nouvelles espèces dont toute une série de coccinelles, parmi lesquelles Nephus derroni et Thea moniqueae. Ces recherches aboutissent à sa thèse de doctorat défendue en 1977: «Approche écologique de l’entomofaune des cacaoyères de São Tomé», sous la direction du Prof. Dr. V. Delucchi, Institut d’Entomologie EPFZ.
La même année, Jacques intègre le Service phytosanitaire du canton de Genève où il se consacre notamment à la jaunisse nanisante de l’orge et ses vecteurs, à savoir les pucerons. A cette époque, il s’intéresse déjà beaucoup à la thématique des seuils d’intervention contre les ravageurs des cultures. Ceci afin de pouvoir offrir aux agriculteurs un outil décisionnel permettant de savoir si une intervention phytosanitaire dans les cultures est justifiable et rentable.
Après cette période genevoise, Jacques postule à Agroscope, appelé encore Station fédérale de recherches agronomiques de Changins. Il y est engagé en janvier 1980 dans le Service d’entomologie. Il travaille alors sur de nombreux thèmes, notamment les questions épidémiologiques liées aux vecteurs de virus dans les pommes de terre et les céréales, la recherche de solution aux dégâts d’insectes du colza et les premiers cas de résistances aux insecticides, l’élaboration de seuils d’intervention et la participation active à la lutte biologique à l’aide des Trichogrammes contre la pyrale du maïs. Cette dernière, s’avère plus que jamais d’actualité avec la recherche d’alternatives durables dans la gestion des bioagresseurs des plantes. De ces travaux découlent de nombreux échanges avec des collègues au niveau national, notamment avec les interlocuteurs cantonaux, l’interprofession, les firmes, les agriculteurs, tout comme à l’international avec notamment le projet Euraphid. Pendant plusieurs années il donne, avec des collègues de divers domaines comme la phytopathologie, des cours sur la production intégrée aux étudiants d’agronomie à l’EPFZ. Il est un des membres fondateurs de la Société suisse de Phytiatrie qui se charge de l’étude des facteurs contribuant à la conservation et à l‘amélioration de la santé des plantes.
Parallèlement à cette thématique «d’insectes ravageurs des cultures», Jacques avait bien compris que pour trouver des solutions phytosanitaires, il fallait comprendre le système dans son ensemble, c’est-à-dire l’étude synécologique dans l’espace agroenvironnemental. Il a donc étudié les échanges entre espèces, notamment les relations entre auxiliaires et ravageurs, ainsi que la biodiversité dans la zone agricole. Il prit part aux projets de mise en place et d’évaluation des premières surfaces de promotion de la biodiversité (appelée jadis surfaces de compensation écologique) avec ses collègues de Reckenholz et de nombreux partenaires dont l’OFAG, Agridea (SRVA), le Fibl, le WSL, la Station ornithologique suisse, les Universités de Bâle et Berne. Cela l’a conduit à étudier la faune carabique des surfaces cultivées ainsi que des milieux semi-naturels. Il participa d’ailleurs au récent travail de terrain pour la réactualisation de la Liste rouge des carabes sous l’égide d’Info Fauna/CSCF. Arrivé à la retraite, il se passionne pour les champignons, encore un monde … sans fin, qu’il va étudier sans relâche. Mais comme tous les chemins mènent à l’entomologie, Jacques faisait de belles découvertes de coléoptères mycétophages ou fongicoles trouvés dans des champignons qu’il me faisait partager. Pour l’anecdote, je me souviens, il y a peu, qu’il m’avait envoyé le plus petit coléoptère existant en Europe, à savoir Baranowskiella ehnstromi, trouvé dans un champignon lignicole sur saule.
Jacques a publié de nombreux articles scientifiques sur la thématique de la protection des plantes et de l’entomologie. Il a aussi formé de nombreux apprentis laborantins et suivis des travaux de diplômes et thèses de doctorat. Il était membre de la Société suisse de Phytiatrie, de la Société suisse d’entomologie, des Sociétés de mycologie de Fribourg et de La Côte. Au moment de son décès, il était impliqué dans le projet «Inventaire des Champignons de la Grande Cariçaie».
Jacques était un grand scientifique, toujours intéressé à comprendre le monde qui nous entoure. Il était également un amoureux des voyages, tout particulièrement des îles volcaniques (en souvenir de São Tomé), qu’il visitait avec son épouse et leurs deux filles. Il appréciait aussi grandement la lecture, notamment les traités historiques et géopolitiques, ainsi que la musique classique. Pour moi, Jacques était avant tout un homme généreux avec qui il faisait bon discuter et partager de bons moments d’amitié. Jacques, mon ami, tu vas nous manquer.