{"title":"Experts scientifiques et action publique : paradoxe et perspectives de recherche pour la sociologie politique de l’expertise","authors":"David Demortain","doi":"10.1684/SSS.2021.0198","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"La pandémie de la Covid-19, comme d’autres crises sanitaires antérieures, pose la question du pouvoir attribuable aux acteurs scientifiques dans l’action publique, et ce de manière particulièrement vive. Elle a parfaitement illustré la confusion qui entoure le phénomène de l’expertise. Le pouvoir expert n’a en effet jamais semblé aussi grand, à plusieurs niveaux. D’un point de vue rhétorique, les politiques ont assuré respecter l’avis des scientifiques et faire confiance à la science. Institutionnellement, un comité scientifique a été instauré, au plus près du centre des décisions. D’un point de vue épistémique, il est manifeste que les modèles et tableaux de données épidémiologiques sont intégrés dans le lot des connaissances mobilisées dans l’action au jour le jour.Pour autant, l’avis des scientifiques ne constitue qu’un ingrédient dans la formulation des décisions. Les jeux de pouvoir institutionnels et l’impératif de la mise en scène du pouvoir décisionnel ont imposé de s’en écarter. Le conseil scientifique installé auprès du Président n’est par ailleurs qu’un des lieux de formulation de ces décisions. Les sources de l’expertise épidémiologique et virologique sont multiples, et s’expriment dans des arènes concurrentes. Les désaccords entre experts, redoublés par l’effet des incertitudes persistantes, contribuent à limiter la crédibilité, et donc l’impact des acteurs scientifiques. Les données épidémiologiques, enfin, ne sont pas l’unique déclencheur des choix concrets. Elles n’expliquent pas le détail des mesures prises, leur succession, ou ce qui se passe dans la mise en œuvre.Que l’action publique soit indissociable de la production et de l’interprétation de connaissances scientifiques, par celles et ceux qui ont l’autorité sociale en la matière, est un fait social incontournable. Mais par-delà ce fait générique (Delmas, 2011), l’expertise reste le lieu d’un paradoxe : les acteurs scientifiques sont aussi présents que leur influence concrète sur l’action publique est contenue. Ce paradoxe est du reste bien connu. Il a été noté de longue date. La sociologue des sciences américaine Dorothy Nelkin (1975) soulignait notre rapport ambivalent à l’expertise et aux experts, à la fois constamment demandés et consultés, mais tout à la fois craints et critiqués. La contradiction est si forte que, dans une synthèse récente, Gil Eyal refuse tout simplement de définir le type de pouvoir que serait l’expertise (Eyal, 2019). Le terme marque selon lui moins l’instauration d’un pouvoir technocratique qu’il n’aide à exprimer les frictions et contestations que suscite irrémédiablement le recours aux savoirs dans l’action publique.Dans ce commentaire, je me propose de rassembler les recherches en sociologie politique, sociologie des sciences, sociologie des risques, pour parcourir ce paradoxe et identifier des pistes de recherche permettant de l’éclairer.","PeriodicalId":44207,"journal":{"name":"Sciences Sociales et Sante","volume":null,"pages":null},"PeriodicalIF":0.4000,"publicationDate":"2021-02-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Sciences Sociales et Sante","FirstCategoryId":"3","ListUrlMain":"https://doi.org/10.1684/SSS.2021.0198","RegionNum":4,"RegionCategory":"医学","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"HEALTH POLICY & SERVICES","Score":null,"Total":0}
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Abstract
La pandémie de la Covid-19, comme d’autres crises sanitaires antérieures, pose la question du pouvoir attribuable aux acteurs scientifiques dans l’action publique, et ce de manière particulièrement vive. Elle a parfaitement illustré la confusion qui entoure le phénomène de l’expertise. Le pouvoir expert n’a en effet jamais semblé aussi grand, à plusieurs niveaux. D’un point de vue rhétorique, les politiques ont assuré respecter l’avis des scientifiques et faire confiance à la science. Institutionnellement, un comité scientifique a été instauré, au plus près du centre des décisions. D’un point de vue épistémique, il est manifeste que les modèles et tableaux de données épidémiologiques sont intégrés dans le lot des connaissances mobilisées dans l’action au jour le jour.Pour autant, l’avis des scientifiques ne constitue qu’un ingrédient dans la formulation des décisions. Les jeux de pouvoir institutionnels et l’impératif de la mise en scène du pouvoir décisionnel ont imposé de s’en écarter. Le conseil scientifique installé auprès du Président n’est par ailleurs qu’un des lieux de formulation de ces décisions. Les sources de l’expertise épidémiologique et virologique sont multiples, et s’expriment dans des arènes concurrentes. Les désaccords entre experts, redoublés par l’effet des incertitudes persistantes, contribuent à limiter la crédibilité, et donc l’impact des acteurs scientifiques. Les données épidémiologiques, enfin, ne sont pas l’unique déclencheur des choix concrets. Elles n’expliquent pas le détail des mesures prises, leur succession, ou ce qui se passe dans la mise en œuvre.Que l’action publique soit indissociable de la production et de l’interprétation de connaissances scientifiques, par celles et ceux qui ont l’autorité sociale en la matière, est un fait social incontournable. Mais par-delà ce fait générique (Delmas, 2011), l’expertise reste le lieu d’un paradoxe : les acteurs scientifiques sont aussi présents que leur influence concrète sur l’action publique est contenue. Ce paradoxe est du reste bien connu. Il a été noté de longue date. La sociologue des sciences américaine Dorothy Nelkin (1975) soulignait notre rapport ambivalent à l’expertise et aux experts, à la fois constamment demandés et consultés, mais tout à la fois craints et critiqués. La contradiction est si forte que, dans une synthèse récente, Gil Eyal refuse tout simplement de définir le type de pouvoir que serait l’expertise (Eyal, 2019). Le terme marque selon lui moins l’instauration d’un pouvoir technocratique qu’il n’aide à exprimer les frictions et contestations que suscite irrémédiablement le recours aux savoirs dans l’action publique.Dans ce commentaire, je me propose de rassembler les recherches en sociologie politique, sociologie des sciences, sociologie des risques, pour parcourir ce paradoxe et identifier des pistes de recherche permettant de l’éclairer.
期刊介绍:
Sciences Sociales et Santé propose chaque trimestre une réflexion globale sur les enjeux majeurs de la Santé : régulation des dépenses de santé, prise en charge des maladies, analyse des systèmes de santé, sida, handicap... Chaque article est renforcé par un commentaire rédigé par un spécialiste d’une autre discipline. La revue permet ainsi d’engager un véritable débat interdisciplinaire, constituant une source d’échanges pour tous les acteurs de la santé en France comme à l’étranger.