{"title":"Le scandale Cambridge Analytica contextualisé: le capital de plateforme, la surveillance et les données comme nouvelle « marchandise fictive »","authors":"Ivan Manokha","doi":"10.4000/CONFLITS.19779","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"L’objectif du present article est de situer le scandale recent autour de la societe Cambridge Analytica dans le contexte plus large de l’importance de la surveillance dans la phase actuelle de developpement du capitalisme. La these developpee ici est que le capitalisme d’aujourd’hui se caracterise par deux evolutions significatives : d’une part, l’importance croissante d’une nouvelle « marchandise fictive » – les donnees –, en plus du travail, de la terre et de la monnaie, precedemment identifies par Karl Polanyi comme objets ayant ete transformes en « marchandises fictives » par la societe capitaliste ; d’autre part, l’importance accrue d’un nouveau type de capital appele ici « capital de plateforme », par reference aux plateformes numeriques qui operent en tant que moyens de production a part entiere (par exemple, Facebook) ou auxiliaires (par exemple, Uber). Ce capital de plateforme ne devient capital que lorsqu’il est combine a cette nouvelle « marchandise fictive » qui lui tient lieu de « matiere premiere ». Pour paraphraser Marx, le capital de plateforme doit rencontrer sur le marche un type de marchandise special – les donnees (en particulier, les donnees utilisateur) – afin de croitre et de produire de la valeur. Ceci signifie que la surveillance et l’invasion constante de la sphere privee sont inherentes au fonctionnement du capital de plateforme ainsi qu’a celui d’autres entites (par exemple, courtiers en donnees ou societes de conseil tels que Cambridge Analytica), dont le modele commercial se fonde egalement sur cette nouvelle marchandise. Ces dernieres, de meme que certaines entites gouvernementales telles que les services de securite, compte tenu du volume d’informations detenues par les plateformes, sont incitees a acceder a ces donnees et peuvent etre tentees de le faire de maniere dissimulee, comme cela a ete fait dans le cas de Cambridge Analytica. Lorsqu’elles sont revelees, de telles actions suscitent une condamnation et un tolle general, alors que l’acquisition quotidienne de donnees par le capital de plateforme et les entites qui lui sont liees, de maniere continuelle et sans cesse croissante, ne genere par elle-meme que tres peu de critique. Celle-ci est au contraire de plus en plus normalisee et des campagnes telles que celle qui a ete menee contre Cambridge Analytica ne font que contribuer a sa normalisation et a son objectivation croissantes.","PeriodicalId":35273,"journal":{"name":"Cultures et Conflits","volume":"39 1","pages":""},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2018-07-20","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"9","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Cultures et Conflits","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.4000/CONFLITS.19779","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"Social Sciences","Score":null,"Total":0}
引用次数: 9
Abstract
L’objectif du present article est de situer le scandale recent autour de la societe Cambridge Analytica dans le contexte plus large de l’importance de la surveillance dans la phase actuelle de developpement du capitalisme. La these developpee ici est que le capitalisme d’aujourd’hui se caracterise par deux evolutions significatives : d’une part, l’importance croissante d’une nouvelle « marchandise fictive » – les donnees –, en plus du travail, de la terre et de la monnaie, precedemment identifies par Karl Polanyi comme objets ayant ete transformes en « marchandises fictives » par la societe capitaliste ; d’autre part, l’importance accrue d’un nouveau type de capital appele ici « capital de plateforme », par reference aux plateformes numeriques qui operent en tant que moyens de production a part entiere (par exemple, Facebook) ou auxiliaires (par exemple, Uber). Ce capital de plateforme ne devient capital que lorsqu’il est combine a cette nouvelle « marchandise fictive » qui lui tient lieu de « matiere premiere ». Pour paraphraser Marx, le capital de plateforme doit rencontrer sur le marche un type de marchandise special – les donnees (en particulier, les donnees utilisateur) – afin de croitre et de produire de la valeur. Ceci signifie que la surveillance et l’invasion constante de la sphere privee sont inherentes au fonctionnement du capital de plateforme ainsi qu’a celui d’autres entites (par exemple, courtiers en donnees ou societes de conseil tels que Cambridge Analytica), dont le modele commercial se fonde egalement sur cette nouvelle marchandise. Ces dernieres, de meme que certaines entites gouvernementales telles que les services de securite, compte tenu du volume d’informations detenues par les plateformes, sont incitees a acceder a ces donnees et peuvent etre tentees de le faire de maniere dissimulee, comme cela a ete fait dans le cas de Cambridge Analytica. Lorsqu’elles sont revelees, de telles actions suscitent une condamnation et un tolle general, alors que l’acquisition quotidienne de donnees par le capital de plateforme et les entites qui lui sont liees, de maniere continuelle et sans cesse croissante, ne genere par elle-meme que tres peu de critique. Celle-ci est au contraire de plus en plus normalisee et des campagnes telles que celle qui a ete menee contre Cambridge Analytica ne font que contribuer a sa normalisation et a son objectivation croissantes.