{"title":"Un agent conversationnel empathique ?","authors":"X. Gocko","doi":"10.56746/exercer.2023.195.291","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"« Apparemment, nous sommes privés d’un talent spécifiquement humain – on appelle ça l’empathie, si je ne m’abuse. » (L’androïde Garland à Rick Deckard) Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Blade Runner Un jour avec un patient en fin de vie à domicile, nous nous sommes mis à parler de Blade Runner, le livre de Philipp K. Dick était sur sa table de nuit en édition originale… Au coeur du livre et du film culte est un questionnement sur l’humanité. Dans ce monde postapocalyptique (1992 dans le livre, 2019 dans le film), Deckard pourchasse des androïdes censés être dépourvus d’empathie afin de les éliminer. Les Nexus 6 se sont échappés de Mars, fuyant leur condition robotique en tuant leurs maîtres humains. Seuls un test (Voigt-Kampff) et les astuces d’un blade runner expérimenté permettent de les distinguer… D’après Bill Gates, ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer) est une révolution comparable à internet. Cet agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle, développé par OpenAI et spécialisé dans le dialogue, questionne des mondes aussi différents que l’éducation, le droit et la médecine. Pour d’autres, ChatGPT devrait être interdit, car il est source d’erreurs, de tricherie aux examens, etc. Si vous ne le connaissez pas, faites un test, vous verrez, il est étonnant. Il arrive à obtenir la moyenne (ou presque) aux trois examens pour obtenir la licence de docteur étatsunienne sans entraînenement1. J’entends déjà les plus sceptiques : « un test de connaissances… » Oui, mais il a aussi presque validé l’examen final d’une école de médecine portant sur le raisonnement clinique2. J’entends encore les plus réfractaires : « OK, OK, il sait des choses et parfois il raisonne, mais de là à être empathique… ». Dans ce numéro de rentrée, Pavageau et al. nous exposent une analyse compréhensive de l’incertitude médicale dans la prise de décision en soins premiers à partir d’une métasynthèse qualitative3. Leur méthode robuste leur permet de nous expliquer que nos décisions reposent sur l’approche centrée sur le patient, sur le « gut feeling » avec la sécurisation du patient, et sur le partage de l’incertitude avec une équipe. Ils séparent le sentiment d’incertitude du sentiment d’incompétence. ChatGPT est-il capable de raisonner et surtout de prendre une décision dans l’incertitude ? Toujours dans ce numéro, nos spécialistes de la communication Givron, Richard et Lussier ont testé le ChatBot. Ils lui ont demandé non seulement comment un médecin annonce une mauvaise nouvelle, mais aussi d’écrire un dialogue patient-médecin avec un patient « difficile »4. Je vous laisse juger de l’empathie du ChatBot, mais il faut bien lui reconnaître un certain degré de compétences. Alors ChatGPT est-il empathique, autrement dit, peut-il bientôt nous remplacer ? Je vous propose de lui faire passer une partie du test de Voigt-Kampff pendant lequel Léon, réplicant androïde, finit par tuer le testeur. « Vous êtes dans le désert. Vous voyez un chélonien (tortue) couché sur son dos sous un soleil brûlant. Il essaie de se retourner, mais n’y parvient pas. Vous savez qu’il n’y arrivera pas seul, mais vous ne faites rien. Pourquoi ? ». Voilà la réponse de ChatGPT : « En tant qu’intelligence artificielle, je n’ai pas de conscience, d’émotions ou de capacité à prendre des décisions autonomes ». Je vous entends déjà passionnés et sceptiques : ce test provient d’une fiction… D’accord, mais il est directement inspiré du test d’Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique visionnaire, souvent considéré comme fondateur de l’informatique. Ce test, décrit en 1950, consistait à mettre un humain en confrontation verbale à l’aveugle avec un ordinateur et un autre humain. Si l’humain ne différenciait pas les conversations humaines de celles de l’ordinateur, le test était réussi… Mais au fait, qui a écrit cet éditorial ?","PeriodicalId":43847,"journal":{"name":"Exercer-La Revue Francophone de Medecine Generale","volume":" ","pages":""},"PeriodicalIF":0.2000,"publicationDate":"2023-09-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Exercer-La Revue Francophone de Medecine Generale","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.56746/exercer.2023.195.291","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"MEDICINE, GENERAL & INTERNAL","Score":null,"Total":0}
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Abstract
« Apparemment, nous sommes privés d’un talent spécifiquement humain – on appelle ça l’empathie, si je ne m’abuse. » (L’androïde Garland à Rick Deckard) Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Blade Runner Un jour avec un patient en fin de vie à domicile, nous nous sommes mis à parler de Blade Runner, le livre de Philipp K. Dick était sur sa table de nuit en édition originale… Au coeur du livre et du film culte est un questionnement sur l’humanité. Dans ce monde postapocalyptique (1992 dans le livre, 2019 dans le film), Deckard pourchasse des androïdes censés être dépourvus d’empathie afin de les éliminer. Les Nexus 6 se sont échappés de Mars, fuyant leur condition robotique en tuant leurs maîtres humains. Seuls un test (Voigt-Kampff) et les astuces d’un blade runner expérimenté permettent de les distinguer… D’après Bill Gates, ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer) est une révolution comparable à internet. Cet agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle, développé par OpenAI et spécialisé dans le dialogue, questionne des mondes aussi différents que l’éducation, le droit et la médecine. Pour d’autres, ChatGPT devrait être interdit, car il est source d’erreurs, de tricherie aux examens, etc. Si vous ne le connaissez pas, faites un test, vous verrez, il est étonnant. Il arrive à obtenir la moyenne (ou presque) aux trois examens pour obtenir la licence de docteur étatsunienne sans entraînenement1. J’entends déjà les plus sceptiques : « un test de connaissances… » Oui, mais il a aussi presque validé l’examen final d’une école de médecine portant sur le raisonnement clinique2. J’entends encore les plus réfractaires : « OK, OK, il sait des choses et parfois il raisonne, mais de là à être empathique… ». Dans ce numéro de rentrée, Pavageau et al. nous exposent une analyse compréhensive de l’incertitude médicale dans la prise de décision en soins premiers à partir d’une métasynthèse qualitative3. Leur méthode robuste leur permet de nous expliquer que nos décisions reposent sur l’approche centrée sur le patient, sur le « gut feeling » avec la sécurisation du patient, et sur le partage de l’incertitude avec une équipe. Ils séparent le sentiment d’incertitude du sentiment d’incompétence. ChatGPT est-il capable de raisonner et surtout de prendre une décision dans l’incertitude ? Toujours dans ce numéro, nos spécialistes de la communication Givron, Richard et Lussier ont testé le ChatBot. Ils lui ont demandé non seulement comment un médecin annonce une mauvaise nouvelle, mais aussi d’écrire un dialogue patient-médecin avec un patient « difficile »4. Je vous laisse juger de l’empathie du ChatBot, mais il faut bien lui reconnaître un certain degré de compétences. Alors ChatGPT est-il empathique, autrement dit, peut-il bientôt nous remplacer ? Je vous propose de lui faire passer une partie du test de Voigt-Kampff pendant lequel Léon, réplicant androïde, finit par tuer le testeur. « Vous êtes dans le désert. Vous voyez un chélonien (tortue) couché sur son dos sous un soleil brûlant. Il essaie de se retourner, mais n’y parvient pas. Vous savez qu’il n’y arrivera pas seul, mais vous ne faites rien. Pourquoi ? ». Voilà la réponse de ChatGPT : « En tant qu’intelligence artificielle, je n’ai pas de conscience, d’émotions ou de capacité à prendre des décisions autonomes ». Je vous entends déjà passionnés et sceptiques : ce test provient d’une fiction… D’accord, mais il est directement inspiré du test d’Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique visionnaire, souvent considéré comme fondateur de l’informatique. Ce test, décrit en 1950, consistait à mettre un humain en confrontation verbale à l’aveugle avec un ordinateur et un autre humain. Si l’humain ne différenciait pas les conversations humaines de celles de l’ordinateur, le test était réussi… Mais au fait, qui a écrit cet éditorial ?