{"title":"Commémorer l’abolition de l’esclavage en Tunisie. Les droits des citoyens noirs et l’histoire des esclaves d’origines européennes","authors":"M’hamed Oualdi","doi":"10.4000/SLAVERIES.3907","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Cet article confronte la politique de memoire de l’esclavage dans la Tunisie post-revolutionnaire a une histoire graduelle, et tres lente, de la fin des esclavages dans ce pays depuis le debut du xixe siecle. Il explore le choix de l’Etat tunisien de commemorer l’abolition de l’esclavage en Tunisie en reference a la promulgation d’un decret de 1846, et montre comment la fin de l’esclavage des Africains de l’Ouest et de l’Est est devenue un element central dans la construction d’une memoire civique.Cet article s’appuie, dans une premiere partie, sur les travaux recents, novateurs et stimulants d’Ines Mrad Dali, Stephanie Pouessel, Maha Abdelhamid et Marta Scaglioni sur les communautes noires de Tunisie. Il convoque, dans une seconde partie, d’autres travaux sur les captif⋅ve⋅s europeen⋅ne⋅s et sur les mamelouks ou esclaves et serviteurs musulmans au Maghreb, souvent d’origine caucasienne. La premiere partie resitue la commemoration de l’esclavage dans le contexte de revendications civiques portees par des militant⋅e⋅s noir⋅e⋅s en Tunisie depuis la revolution de 2011. Les transformations profondes qu’ont connues les communautes noires depuis la decolonisation des annees 1950 ont faconne ces revendications. En effet, pour ces militant⋅e⋅s anti-racistes, ce qui est devenu determinant, plus que les recits locaux qui visaient a expliquer voire a legitimer les positions subalternes de ces communautes – en particulier dans le sud du pays –, ce sont les categories nationales d’appartenance a une communaute civique tunisienne et, en consequence, les debats sur la memoire collective et les representations historiques de la nation.La seconde partie elargit la reflexion aux captif⋅ve⋅s chretiens et surtout aux esclaves, hommes et femmes, d’origine caucasienne convertis a l’islam (mamelouks et odalisques) dans la Tunisie du xixe siecle. Cette partie montre que les descendant⋅e⋅s de captif⋅ve⋅s europeens sont moins concernes par la commemoration d’une abolition de l’esclavage. Ils s’integrent davantage a l’histoire du pays en fonction de leur contribution a l’edification d’une nation tunisienne et de son Etat. L’integration plus que contrastee des descendant⋅e⋅s d’esclaves a la societe tunisienne, et plus encore le rapport distinct de ces groupes a la memoire de l’esclavage, confirment sur le temps long, le constat dresse aujourd’hui d’un traitement differencie des Tunisiens en fonction de leur couleur de peau.L’article conclut sur deux constats : les militant⋅e⋅s anti-racistes tunisien⋅ne⋅s ont voulu lutter contre des discours et des categorisations racistes. Ils ont reussi, de ce point de vue, a faire avancer leur cause en rendant officielle la commemoration de l’abolition de 1846. Ils ont desormais a poser la question fondamentale et ardue de la distribution inegalitaire des ressources dans la Tunisie post-revolutionnaire.","PeriodicalId":402021,"journal":{"name":"Esclavages & Post-esclavages","volume":"10 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2021-05-10","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Esclavages & Post-esclavages","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.4000/SLAVERIES.3907","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Cet article confronte la politique de memoire de l’esclavage dans la Tunisie post-revolutionnaire a une histoire graduelle, et tres lente, de la fin des esclavages dans ce pays depuis le debut du xixe siecle. Il explore le choix de l’Etat tunisien de commemorer l’abolition de l’esclavage en Tunisie en reference a la promulgation d’un decret de 1846, et montre comment la fin de l’esclavage des Africains de l’Ouest et de l’Est est devenue un element central dans la construction d’une memoire civique.Cet article s’appuie, dans une premiere partie, sur les travaux recents, novateurs et stimulants d’Ines Mrad Dali, Stephanie Pouessel, Maha Abdelhamid et Marta Scaglioni sur les communautes noires de Tunisie. Il convoque, dans une seconde partie, d’autres travaux sur les captif⋅ve⋅s europeen⋅ne⋅s et sur les mamelouks ou esclaves et serviteurs musulmans au Maghreb, souvent d’origine caucasienne. La premiere partie resitue la commemoration de l’esclavage dans le contexte de revendications civiques portees par des militant⋅e⋅s noir⋅e⋅s en Tunisie depuis la revolution de 2011. Les transformations profondes qu’ont connues les communautes noires depuis la decolonisation des annees 1950 ont faconne ces revendications. En effet, pour ces militant⋅e⋅s anti-racistes, ce qui est devenu determinant, plus que les recits locaux qui visaient a expliquer voire a legitimer les positions subalternes de ces communautes – en particulier dans le sud du pays –, ce sont les categories nationales d’appartenance a une communaute civique tunisienne et, en consequence, les debats sur la memoire collective et les representations historiques de la nation.La seconde partie elargit la reflexion aux captif⋅ve⋅s chretiens et surtout aux esclaves, hommes et femmes, d’origine caucasienne convertis a l’islam (mamelouks et odalisques) dans la Tunisie du xixe siecle. Cette partie montre que les descendant⋅e⋅s de captif⋅ve⋅s europeens sont moins concernes par la commemoration d’une abolition de l’esclavage. Ils s’integrent davantage a l’histoire du pays en fonction de leur contribution a l’edification d’une nation tunisienne et de son Etat. L’integration plus que contrastee des descendant⋅e⋅s d’esclaves a la societe tunisienne, et plus encore le rapport distinct de ces groupes a la memoire de l’esclavage, confirment sur le temps long, le constat dresse aujourd’hui d’un traitement differencie des Tunisiens en fonction de leur couleur de peau.L’article conclut sur deux constats : les militant⋅e⋅s anti-racistes tunisien⋅ne⋅s ont voulu lutter contre des discours et des categorisations racistes. Ils ont reussi, de ce point de vue, a faire avancer leur cause en rendant officielle la commemoration de l’abolition de 1846. Ils ont desormais a poser la question fondamentale et ardue de la distribution inegalitaire des ressources dans la Tunisie post-revolutionnaire.