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Abstract
Le 23 avril n'est pas seulement la fete des enfants et de la souverainete nationale qui commemore les premices de la Republique turque fondee par Mustapha Kemal Ataturk. Ce jour ferie correspond aussi a la fete de saint Georges, figure majeure dans le christianisme oriental. Ce matin-la, les innombrables embarcaderes d'Istanbul sont pris d'assaut par des dizaines de milliers de per-sonnes. Toutes souhaitent atteindre l'ile de Buyukada, la plus grande de l'archipel des Princes (en grec, Prinkipo), au sommet de laquelle s'eleve un monastere grec orthodoxe qui abrite une icone miraculeuse de saint Georges. Une heure plus tard, les bateaux deversent une foule immense de pelerins qui envahissent le petit port touristique. Les voitures etant interdites sur l'ile, certains cherchent a prendre une caleche, tandis que la plupart montent a pied vers le monastere. Sur la place de l'Union (Birlik Meydani) regne une foire typique des pelerinages : lieu de retrouvailles, marche d'echoppes ephemeres, carrefour incessant des caleches, sous le controle discret des autorites. C'est la que debute le chemin pedestre du sanctuaire qui semble charge d'une force spirituelle particulierement dense ce jour-la, tout au moins dans les representations des pelerins. La grande specificite de ce jour de fete est que la grande majorite des visiteurs ne sont pas chretiens. En effet, le 23 avril, ce lieu saint attire en masse des musulmans. Ou plutot faudrait-il dire « musulmanes », car la balance des sexes est de l'ordre de deux femmes pour un homme sur le ponton d'arrivee, pour etre ensuite de dix pour un a l'interieur du sanctuaire ; 89 % des visiteurs sont des femmes non voilees ce qui, aujourd'hui en Turquie, n'est pas sans signification puisqu'environ 70 % des femmes declarent porter le voile dans les sondages. 1 % des visiteurs sont des femmes portant le voile. Les enfants sont assez rares. Certes, cette abondante frequen-tation musulmane peut paraitre inopinee ou incongrue de prime abord, mais elle s'inscrit en fait dans un phenomene plus vaste, tant dans la longue duree que sur le plan geographique : la visite des sanctuaires de l'« autre religieux ». Cela a bien ete documente des la fin de l'Empire Ottoman par Frederick Hasluck (Hasluck 2000), avant qu'un nombre croissant de travaux Benoit Fliche & Manoel Penicaud Heterographies du desir Pratiques votives au monastere de Saint-Georges (Buyukada, Istanbul)