{"title":"9 Atomes et lumière en équilibre thermique: de l’argument d’Einstein aux mélasses optiques","authors":"J. Dalibard","doi":"10.1051/978-2-7598-2265-2.C014","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Atoms and light in thermal equilibrium: from Einstein’s argument to optical molasses In 1916-1917, Einstein examines how a radiation like the black body radiation can impose its temperature to a collection of atoms. On the basis of the three processes, absorption, directed and spontaneous emission, he shows that light creates a friction force on a moving atom. Then using arguments taken from the Brownian motion, he explains how the atomic assembly reaches the same level of thermal equilibrium as the initial black body. About sixty years after Einstein’s work, the physicists Hänsch and Schawlow on one hand and Wineland and Dehmelt on the other hand, proposed to exploit the light of tunable lasers in order to create new thermodynamic equilibriums, with a cooling process amazingly close to the Einstein’s mechanism. This was the starting point of a new field of quantum physics, the study of a gas atoms cooled down to a temperature close to a microkelvin. Le point de départ de cet article sera le rayonnement du corps noir, c’est-à-dire le rayonnement électromagnétique émis par un corps matériel en équilibre thermodynamique avec son environnement. La distribution spectrale de ce rayonnement est une loi universelle qui ne dépend que de la température du corps. Elle est donnée par la loi de Planck [17] : ρ(ω, T ) = ω π2c3 1 e ω/kBT − 1 , (1) où ρ(ω) dω représente l’énergie électromagnétique par unité de volume correspondant à un rayonnement de pulsation comprise entre ω et ω + dω. Considérant la loi de Planck (1) acquise, Einstein [8] étudie comment un rayonnement avec cette densité spectrale d’énergie va imposer sa température à une collection d’atomes. Pour cela, il introduit la notion de force de friction créée par la lumière sur un atome en mouvement, force de friction en tout point identique à celle proposée près de 60 ans plus tard par Hänsch & Schawlow [11] et à l’œuvre dans les mélasses optiques utilisées dans les laboratoires d’aujourd’hui. De plus, le raisonnement d’Einstein pour étudier l’équilibre atteint par l’assemblée d’atomes est également identique à celui utilisé pour décrire le mouvement des atomes dans des faisceaux laser quasi-résonnants : il s’agit d’arguments fondés sur la notion de mouvement brownien, que nous allons également passer en revue dans cet article. 1. Einstein 1916 : absorption et émission En 1916, alors qu’il vient de publier sa théorie de la Relativité Générale, Einstein revient vers l’étude des processus d’échanges d’énergie et d’impulsion entre atomes et rayonnement [7] Pour approfondir ce thème qu’il avait abordé dès 1905 dans son étude de l’effet photo-électrique, il va prendre comme fil directeur l’atteinte de l’équilibre thermodynamique. DUALITÉ ONDES/CORPUSCULES DE LA PHYSIQUE QUANTIQUE 267 ONDES MATIÈRE ET UNIVERS RELATIVITÉ GÉNÉRALE, PHYSIQUE QUANTIQUE ET APPLICATIONS Einstein considère une collection d’atomes éclairés par un rayonnement de type corps noir à température T (figure 1). Son but est de modéliser la manière selon laquelle les atomes et le rayonnement peuvent échanger de l’énergie. La seule contrainte qu’il s’impose est la cohérence de la physique statistique : il faut que la répartition des populations moyennes des différents niveaux d’énergie des atomes soit une distribution de Boltzmann avec la même température T que le rayonnement. Dans un modèle d’atome à deux niveaux, avec un état fondamental g et un état excité e séparés une énergie ħωA (figure 2, gauche), le rapport des populations Pg,e doit être tel que : Pe Pg = exp ( − ωA kBT ) . (2) 1.1 Processus élémentaires et état d’équilibre Pour expliquer comment un tel état d’équilibre peut être obtenu, Einstein étudie la compétition entre processus d’absorption de photons1 et processus d’émission : — Si l’atome est dans l’état fondamental, il peut absorber un photon et passer dans l’état excité (figure 3). Einstein postule que la probabilité pour que ce processus se produise pendant un intervalle de temps infinitésimal dt est proportionnelle à dt et à la densité d’énergie du rayonnement ρ, prise à la fréquence2 de résonance atomique ωA : (1) Einstein n’utilise pas le terme de photon, qui ne sera introduit que bien plus tard (1926) par Lewis. (2) Nous utiliserons fréquemment la dénomination usuelle fréquence pour la quantité ω, bien qu’il s’agisse en réalité d’une pulsation, la fréquence étant ω/2π. Figure 1. Le problème considéré par Einstein : une assemblée d’atomes indépendants est éclairée par le rayonnement d’un corps noir à température T. Cette assemblée d’atomes va-t-elle se thermaliser avec le corps noir, aussi bien en ce qui concerne ses degrés de libertés internes qu’externes ? 268 ATOMES ET LUMIÈRE EN ÉQUILIBRE THERMIQUE : DE L’ARGUMENT D’EINSTEIN AUX MÉLASSES OPTIQUES J. DALIBARD dPg→e = B ρ(ωA) dt, (3) où B est un coefficient indéterminé à ce stade. — Si l’atome est dans l’état excité, il peut tomber sur l’état fondamental en émettant un photon. La probabilité pour que cette émission se produise pendant dt est la somme de deux termes. D’une part, même si aucun photon n’est initialement présent, l’atome peut passer de e à g par émission spontanée (figure 4) avec la probabilité : dPe→g|spont. = A dt, (4) c’est-à-dire une loi qui, comme Einstein le remarque, est identique à celle de la décroissance radioactive. D’autre part, l’émission peut être stimulée par le rayonnement déjà présent à la fréquence atomique, avec une probabilité dPe→g|stim. = B ′ ρ(ωA) dt. (5) L’évolution des probabilités Pg,e est alors donnée par une équation de taux : dPg dt = −B ρ(ωA)Pg + [A+ B′ ρ(ωA)] Pe, Pg + Pe = 1, (6) qui entraine que ces probabilités tendent vers l’état stationnaire Pg = A+ B′ ρ(ωA) A+ (B + B′) ρ(ωA) , Pe = B ρ(ωA) A+ (B + B′) ρ(ωA) , (7) avec le temps caractéristique τint. = [A+ (B + B ′) ρ(ωA)] −1 . (8) L’indice « int. » signifie qu’il s’agit ici du temps de mise à l’équilibre des variables internes, différent de celui que nous rencontrerons plus loin pour la mise à l’équilibre du centre de masse de l’atome. DUALITÉ ONDES/CORPUSCULES DE LA PHYSIQUE QUANTIQUE 269 ONDES MATIÈRE ET UNIVERS RELATIVITÉ GÉNÉRALE, PHYSIQUE QUANTIQUE ET APPLICATIONS g e g e dPe→g|spont. = A dt","PeriodicalId":282223,"journal":{"name":"Ondes, matière et Univers","volume":"38 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2020-11-04","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"1","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Ondes, matière et Univers","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.1051/978-2-7598-2265-2.C014","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Atoms and light in thermal equilibrium: from Einstein’s argument to optical molasses In 1916-1917, Einstein examines how a radiation like the black body radiation can impose its temperature to a collection of atoms. On the basis of the three processes, absorption, directed and spontaneous emission, he shows that light creates a friction force on a moving atom. Then using arguments taken from the Brownian motion, he explains how the atomic assembly reaches the same level of thermal equilibrium as the initial black body. About sixty years after Einstein’s work, the physicists Hänsch and Schawlow on one hand and Wineland and Dehmelt on the other hand, proposed to exploit the light of tunable lasers in order to create new thermodynamic equilibriums, with a cooling process amazingly close to the Einstein’s mechanism. This was the starting point of a new field of quantum physics, the study of a gas atoms cooled down to a temperature close to a microkelvin. Le point de départ de cet article sera le rayonnement du corps noir, c’est-à-dire le rayonnement électromagnétique émis par un corps matériel en équilibre thermodynamique avec son environnement. La distribution spectrale de ce rayonnement est une loi universelle qui ne dépend que de la température du corps. Elle est donnée par la loi de Planck [17] : ρ(ω, T ) = ω π2c3 1 e ω/kBT − 1 , (1) où ρ(ω) dω représente l’énergie électromagnétique par unité de volume correspondant à un rayonnement de pulsation comprise entre ω et ω + dω. Considérant la loi de Planck (1) acquise, Einstein [8] étudie comment un rayonnement avec cette densité spectrale d’énergie va imposer sa température à une collection d’atomes. Pour cela, il introduit la notion de force de friction créée par la lumière sur un atome en mouvement, force de friction en tout point identique à celle proposée près de 60 ans plus tard par Hänsch & Schawlow [11] et à l’œuvre dans les mélasses optiques utilisées dans les laboratoires d’aujourd’hui. De plus, le raisonnement d’Einstein pour étudier l’équilibre atteint par l’assemblée d’atomes est également identique à celui utilisé pour décrire le mouvement des atomes dans des faisceaux laser quasi-résonnants : il s’agit d’arguments fondés sur la notion de mouvement brownien, que nous allons également passer en revue dans cet article. 1. Einstein 1916 : absorption et émission En 1916, alors qu’il vient de publier sa théorie de la Relativité Générale, Einstein revient vers l’étude des processus d’échanges d’énergie et d’impulsion entre atomes et rayonnement [7] Pour approfondir ce thème qu’il avait abordé dès 1905 dans son étude de l’effet photo-électrique, il va prendre comme fil directeur l’atteinte de l’équilibre thermodynamique. DUALITÉ ONDES/CORPUSCULES DE LA PHYSIQUE QUANTIQUE 267 ONDES MATIÈRE ET UNIVERS RELATIVITÉ GÉNÉRALE, PHYSIQUE QUANTIQUE ET APPLICATIONS Einstein considère une collection d’atomes éclairés par un rayonnement de type corps noir à température T (figure 1). Son but est de modéliser la manière selon laquelle les atomes et le rayonnement peuvent échanger de l’énergie. La seule contrainte qu’il s’impose est la cohérence de la physique statistique : il faut que la répartition des populations moyennes des différents niveaux d’énergie des atomes soit une distribution de Boltzmann avec la même température T que le rayonnement. Dans un modèle d’atome à deux niveaux, avec un état fondamental g et un état excité e séparés une énergie ħωA (figure 2, gauche), le rapport des populations Pg,e doit être tel que : Pe Pg = exp ( − ωA kBT ) . (2) 1.1 Processus élémentaires et état d’équilibre Pour expliquer comment un tel état d’équilibre peut être obtenu, Einstein étudie la compétition entre processus d’absorption de photons1 et processus d’émission : — Si l’atome est dans l’état fondamental, il peut absorber un photon et passer dans l’état excité (figure 3). Einstein postule que la probabilité pour que ce processus se produise pendant un intervalle de temps infinitésimal dt est proportionnelle à dt et à la densité d’énergie du rayonnement ρ, prise à la fréquence2 de résonance atomique ωA : (1) Einstein n’utilise pas le terme de photon, qui ne sera introduit que bien plus tard (1926) par Lewis. (2) Nous utiliserons fréquemment la dénomination usuelle fréquence pour la quantité ω, bien qu’il s’agisse en réalité d’une pulsation, la fréquence étant ω/2π. Figure 1. Le problème considéré par Einstein : une assemblée d’atomes indépendants est éclairée par le rayonnement d’un corps noir à température T. Cette assemblée d’atomes va-t-elle se thermaliser avec le corps noir, aussi bien en ce qui concerne ses degrés de libertés internes qu’externes ? 268 ATOMES ET LUMIÈRE EN ÉQUILIBRE THERMIQUE : DE L’ARGUMENT D’EINSTEIN AUX MÉLASSES OPTIQUES J. DALIBARD dPg→e = B ρ(ωA) dt, (3) où B est un coefficient indéterminé à ce stade. — Si l’atome est dans l’état excité, il peut tomber sur l’état fondamental en émettant un photon. La probabilité pour que cette émission se produise pendant dt est la somme de deux termes. D’une part, même si aucun photon n’est initialement présent, l’atome peut passer de e à g par émission spontanée (figure 4) avec la probabilité : dPe→g|spont. = A dt, (4) c’est-à-dire une loi qui, comme Einstein le remarque, est identique à celle de la décroissance radioactive. D’autre part, l’émission peut être stimulée par le rayonnement déjà présent à la fréquence atomique, avec une probabilité dPe→g|stim. = B ′ ρ(ωA) dt. (5) L’évolution des probabilités Pg,e est alors donnée par une équation de taux : dPg dt = −B ρ(ωA)Pg + [A+ B′ ρ(ωA)] Pe, Pg + Pe = 1, (6) qui entraine que ces probabilités tendent vers l’état stationnaire Pg = A+ B′ ρ(ωA) A+ (B + B′) ρ(ωA) , Pe = B ρ(ωA) A+ (B + B′) ρ(ωA) , (7) avec le temps caractéristique τint. = [A+ (B + B ′) ρ(ωA)] −1 . (8) L’indice « int. » signifie qu’il s’agit ici du temps de mise à l’équilibre des variables internes, différent de celui que nous rencontrerons plus loin pour la mise à l’équilibre du centre de masse de l’atome. DUALITÉ ONDES/CORPUSCULES DE LA PHYSIQUE QUANTIQUE 269 ONDES MATIÈRE ET UNIVERS RELATIVITÉ GÉNÉRALE, PHYSIQUE QUANTIQUE ET APPLICATIONS g e g e dPe→g|spont. = A dt