{"title":"La topique des phonèmes","authors":"J. Coursil","doi":"10.7202/1037147AR","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Le Cours de Linguistique Generale consacre deux chapitres a la phonologie sous les titres “Definition des phonemes” et “Le Phoneme dans la chaine parlee”. Ces textes se presentent aujourd’hui sous le double aspect d’une question d’histoire des sciences non-resolue et d'une question theorique ouverte, l’irresolution de la premiere masquant l’interet systemique de la seconde. Critiques des 1930 par les theoriciens de l’Ecole de Prague (Troubetzkoy, Jakobson), les Principes de Phonologie de Saussure ont perdu tout credit scientifique et sont tombes dans l’oubli. La critique des Pragois est a la fois elogieuse et severe. Tout en se reclamant de son caractere fondateur, ils reprochent a la theorie saussurienne d’etre contradictoire, melant, selon leurs analyses, deux disciplines devant demeurer distinctes, la phonetique et la phonologie. Les contradictions relevees par les maitres de l’Ecole de Prague paraissent, en effet, evidentes. D’une part Saussure ecrit : “L’essentiel de la langue est etranger au caractere phonique du signe linguistique” (CLG : 21) ou “la question de l’appareil vocal est secondaire dans le probleme du langage” (CLG : 26); mais d’autre part, il affirme que “la liberte de lier les especes phonologiques (phonemes) est limitee par la possibilite de lier les mouvements articulatoires” (CLG : 79). On ne peut, en effet, soutenir la necessite d’une distinction stricte entre traits differentiels de langue et mecanique articulatoire et, en meme temps, affirmer que la delimitation des phonemes depend de contraintes de l’appareil vocal. Ainsi Troubetzkoy et Jakobson reprocheront-ils au maitre genevois de reintroduire la phonetique dans le debat phonologique. Mais il y a malentendu. En confrontant les critiques pragoises aux textes de Saussure, on decouvre, a la place des contradictions attendues, la description d’un systeme double de categories et de fonctions dont chaque partie, dument developpee, aboutit a une loi. La these de Saussure maintient strictement (mais subtilement) la distinction entre phonetique et phonologie, contrairement aux allegations des Pragois. Dans une lecture systemique des Principes de Phonologie de Saussure, nous n’avons trouve ni les “contradictions” ni le “psychologisme naif” ni non plus de “retour aux procedes de la phonetique motrice” que Jakobson avait critiques. Il s’agit dans cet article de reconstruire et tester ce modele saussurien discredite. Les historiens des sciences auront alors a nous expliquer l’etonnante indifference dans laquelle est tombee une analyse (si operante et importante) placee au milieu du livre le plus lu de la linguistique generale.","PeriodicalId":191586,"journal":{"name":"RSSI. Recherches sémiotiques. Semiotic inquiry","volume":"12 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2016-07-28","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"RSSI. Recherches sémiotiques. Semiotic inquiry","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.7202/1037147AR","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Le Cours de Linguistique Generale consacre deux chapitres a la phonologie sous les titres “Definition des phonemes” et “Le Phoneme dans la chaine parlee”. Ces textes se presentent aujourd’hui sous le double aspect d’une question d’histoire des sciences non-resolue et d'une question theorique ouverte, l’irresolution de la premiere masquant l’interet systemique de la seconde. Critiques des 1930 par les theoriciens de l’Ecole de Prague (Troubetzkoy, Jakobson), les Principes de Phonologie de Saussure ont perdu tout credit scientifique et sont tombes dans l’oubli. La critique des Pragois est a la fois elogieuse et severe. Tout en se reclamant de son caractere fondateur, ils reprochent a la theorie saussurienne d’etre contradictoire, melant, selon leurs analyses, deux disciplines devant demeurer distinctes, la phonetique et la phonologie. Les contradictions relevees par les maitres de l’Ecole de Prague paraissent, en effet, evidentes. D’une part Saussure ecrit : “L’essentiel de la langue est etranger au caractere phonique du signe linguistique” (CLG : 21) ou “la question de l’appareil vocal est secondaire dans le probleme du langage” (CLG : 26); mais d’autre part, il affirme que “la liberte de lier les especes phonologiques (phonemes) est limitee par la possibilite de lier les mouvements articulatoires” (CLG : 79). On ne peut, en effet, soutenir la necessite d’une distinction stricte entre traits differentiels de langue et mecanique articulatoire et, en meme temps, affirmer que la delimitation des phonemes depend de contraintes de l’appareil vocal. Ainsi Troubetzkoy et Jakobson reprocheront-ils au maitre genevois de reintroduire la phonetique dans le debat phonologique. Mais il y a malentendu. En confrontant les critiques pragoises aux textes de Saussure, on decouvre, a la place des contradictions attendues, la description d’un systeme double de categories et de fonctions dont chaque partie, dument developpee, aboutit a une loi. La these de Saussure maintient strictement (mais subtilement) la distinction entre phonetique et phonologie, contrairement aux allegations des Pragois. Dans une lecture systemique des Principes de Phonologie de Saussure, nous n’avons trouve ni les “contradictions” ni le “psychologisme naif” ni non plus de “retour aux procedes de la phonetique motrice” que Jakobson avait critiques. Il s’agit dans cet article de reconstruire et tester ce modele saussurien discredite. Les historiens des sciences auront alors a nous expliquer l’etonnante indifference dans laquelle est tombee une analyse (si operante et importante) placee au milieu du livre le plus lu de la linguistique generale.