{"title":"“动态叙事”:流离失所是对瓦哈尤人的抗议,瓦哈尤人是尼日尔和尼日利亚边境地区的奴隶妾","authors":"Lotte Pelckmans","doi":"10.4000/SLAVERIES.4469","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Que ce soit en langue vernaculaire et en francais, il existe peu de recits ecrits relatant des experiences subjectives d’exploitation, de liberte, d’emancipation et de cohabitation d’individus ayant le statut hereditaire d’esclaves au Sahel. Les quelques documents ecrits traitant des femmes de cette categorie ont ete produits par des organisations de lutte contre l’esclavage, comme Timidria au Niger, Temedt au Mali, ou bien par des universitaires. Afin de rendre compte de l’experience subjective de ces femmes, au-dela des rares temoignages oraux, souvent biaises, recueillis par les mouvements anti-esclavagistes, je propose de sortir des sentiers battus des formes ecrites, visuelles et orales qui abondent dans les spheres intellectuelles occidentales, et de me pencher sur une de leurs formes alternatives, composee de mouvements et de langage corporel : la cinetique.Par « recits cinetiques », je fais reference a une im/mobilite physique agissante et incarnee qui traduit les experiences subjectives des femmes au statut hereditaire d’esclaves au Sahel. Plus specifiquement, ce sont leurs deplacements fugitifs que j’analyse comme des tactiques de resistance a leur exploitation.Cet article se fonde sur l’exemple specifique des mouvements de fuite des concubines classees parmi les esclaves dans les regions frontalieres du Niger et du Nigeria. Ces mouvements de femmes ressemblent aux marronnages des esclaves de l’ocean Atlantique et de l’ocean Indien. La source principale est un rapport base sur des entretiens menes avec des concubines par une organisation anti-esclavagiste etablie au Niger. Ce rapport a selectionne neuf cas parmi un corpus de 165 entretiens, principalement dans le sud du Niger et le nord du Nigeria. Les biais introduits par le choix de cette source sont importants et nombreux, mais ils sont aussi contextualises par les vingt ans d’experience de l’auteure avec des cas similaires dans le centre du Mali.Les wahayu – wahaya au singulier – sont des femmes au statut d’esclave qui sont prises comme concubines par des hommes libres, selon la loi islamique. Selon les lois abolissant l’esclavage, cette pratique aurait du etre abandonnee, mais c’est loin d’etre le cas. Je developpe la notion de post-esclavage pour expliquer en quoi l’abolition de l’esclavage n’a pas mis fin aux exclusions fondees sur le statut social (descendants de maitres versus descendants d’esclaves).Depuis l’abolition de l’esclavage par les forces coloniales en Afrique au debut du xxe siecle, une ambiguite juridique, conceptuelle et ideologique entoure la pratique de la wahaya : ceci est cause que le point de vue subjectif de ces femmes est peu represente dans les sources. Pour y remedier, le present article plaide pour que les mouvements cinetiques soient pris en consideration comme des recits : dans ce cas precis, les deplacements fugitifs des wahayu captent les aspirations a la liberte et a la dignite de ces femmes concubines au statut servile dans le Sahel.Les femmes du rapport mentionnent dans leurs recits comment elles ou d’autres wahayu ont fui. Au vu des multiples references a leurs mobilites et a celles des autres, je pose comme hypothese que la pratique de la fuite, du marronnage individuel dans les zones transfrontalieres du sud du Niger et du nord du Nigeria est significative et va bien au-dela des neuf recits enregistres dans le rapport. L’article analyse plusieurs motifs qui sont a l’origine du desir de fuite des wahayu et illustre, par des exemples concrets tires des recits, plusieurs strategies et resultats de la fuite.En conclusion, les recits cinetiques, a savoir les fuites par lesquelles les femmes wahayu quittent la maison de leur mari/maitre, sont analyses comme une tactique subalterne de resistance et de dissidence, et comme une aspiration a une existence digne. Le mouvement du corps en fuite temoigne de la souffrance prolongee que ces concubines continuent d’endurer a ce jour. Certes, pour la plupart des femmes du Sahel, la liberte est conditionnee par la reconnaissance sociale de leur role de femme et d’epouse, et non par le fait de devenir des individus disposant d’une totale liberte de mouvement. Mais, paradoxalement, c’est precisement par la mise a mal de cette liberte de relation et d’appartenance que la fuite et la capacite individuelle de mouvement deviennent pour certaines la seule issue a leur condition.","PeriodicalId":402021,"journal":{"name":"Esclavages & Post-esclavages","volume":"12 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2021-05-07","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":"{\"title\":\"« Récits cinétiques » : le déplacement comme récit de contestation des wahayu, concubines de statut servile dans les régions frontalières du Niger et du Nigeria\",\"authors\":\"Lotte Pelckmans\",\"doi\":\"10.4000/SLAVERIES.4469\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"Que ce soit en langue vernaculaire et en francais, il existe peu de recits ecrits relatant des experiences subjectives d’exploitation, de liberte, d’emancipation et de cohabitation d’individus ayant le statut hereditaire d’esclaves au Sahel. 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« Récits cinétiques » : le déplacement comme récit de contestation des wahayu, concubines de statut servile dans les régions frontalières du Niger et du Nigeria
Que ce soit en langue vernaculaire et en francais, il existe peu de recits ecrits relatant des experiences subjectives d’exploitation, de liberte, d’emancipation et de cohabitation d’individus ayant le statut hereditaire d’esclaves au Sahel. Les quelques documents ecrits traitant des femmes de cette categorie ont ete produits par des organisations de lutte contre l’esclavage, comme Timidria au Niger, Temedt au Mali, ou bien par des universitaires. Afin de rendre compte de l’experience subjective de ces femmes, au-dela des rares temoignages oraux, souvent biaises, recueillis par les mouvements anti-esclavagistes, je propose de sortir des sentiers battus des formes ecrites, visuelles et orales qui abondent dans les spheres intellectuelles occidentales, et de me pencher sur une de leurs formes alternatives, composee de mouvements et de langage corporel : la cinetique.Par « recits cinetiques », je fais reference a une im/mobilite physique agissante et incarnee qui traduit les experiences subjectives des femmes au statut hereditaire d’esclaves au Sahel. Plus specifiquement, ce sont leurs deplacements fugitifs que j’analyse comme des tactiques de resistance a leur exploitation.Cet article se fonde sur l’exemple specifique des mouvements de fuite des concubines classees parmi les esclaves dans les regions frontalieres du Niger et du Nigeria. Ces mouvements de femmes ressemblent aux marronnages des esclaves de l’ocean Atlantique et de l’ocean Indien. La source principale est un rapport base sur des entretiens menes avec des concubines par une organisation anti-esclavagiste etablie au Niger. Ce rapport a selectionne neuf cas parmi un corpus de 165 entretiens, principalement dans le sud du Niger et le nord du Nigeria. Les biais introduits par le choix de cette source sont importants et nombreux, mais ils sont aussi contextualises par les vingt ans d’experience de l’auteure avec des cas similaires dans le centre du Mali.Les wahayu – wahaya au singulier – sont des femmes au statut d’esclave qui sont prises comme concubines par des hommes libres, selon la loi islamique. Selon les lois abolissant l’esclavage, cette pratique aurait du etre abandonnee, mais c’est loin d’etre le cas. Je developpe la notion de post-esclavage pour expliquer en quoi l’abolition de l’esclavage n’a pas mis fin aux exclusions fondees sur le statut social (descendants de maitres versus descendants d’esclaves).Depuis l’abolition de l’esclavage par les forces coloniales en Afrique au debut du xxe siecle, une ambiguite juridique, conceptuelle et ideologique entoure la pratique de la wahaya : ceci est cause que le point de vue subjectif de ces femmes est peu represente dans les sources. Pour y remedier, le present article plaide pour que les mouvements cinetiques soient pris en consideration comme des recits : dans ce cas precis, les deplacements fugitifs des wahayu captent les aspirations a la liberte et a la dignite de ces femmes concubines au statut servile dans le Sahel.Les femmes du rapport mentionnent dans leurs recits comment elles ou d’autres wahayu ont fui. Au vu des multiples references a leurs mobilites et a celles des autres, je pose comme hypothese que la pratique de la fuite, du marronnage individuel dans les zones transfrontalieres du sud du Niger et du nord du Nigeria est significative et va bien au-dela des neuf recits enregistres dans le rapport. L’article analyse plusieurs motifs qui sont a l’origine du desir de fuite des wahayu et illustre, par des exemples concrets tires des recits, plusieurs strategies et resultats de la fuite.En conclusion, les recits cinetiques, a savoir les fuites par lesquelles les femmes wahayu quittent la maison de leur mari/maitre, sont analyses comme une tactique subalterne de resistance et de dissidence, et comme une aspiration a une existence digne. Le mouvement du corps en fuite temoigne de la souffrance prolongee que ces concubines continuent d’endurer a ce jour. Certes, pour la plupart des femmes du Sahel, la liberte est conditionnee par la reconnaissance sociale de leur role de femme et d’epouse, et non par le fait de devenir des individus disposant d’une totale liberte de mouvement. Mais, paradoxalement, c’est precisement par la mise a mal de cette liberte de relation et d’appartenance que la fuite et la capacite individuelle de mouvement deviennent pour certaines la seule issue a leur condition.